La Femme De Papier

corps et ne pas le gêner. Je t’ai découvert dans le repos,
modeste et gentil, attentif à mon bien-être comme je
l’étais au tien, et j’ai pensé : « Ah ! Nous n’aurions pas dû !
Il me fallait garder son image éveillée, péremptoire,
égocentrique parfois, turbulente. Maintenant je vais
l’aimer aussi parce qu’il dort, et que son sommeil est
encore plus attendrissant que tout le reste !… » Tu vois, je
venais de toucher le fond de la pornographie, de l’horreur,
de l’indicible…
Le petit jour nous a surpris, fatigués, troublés, comme
ahuris par l’aventure. Tu es parti sans beaucoup de
paroles, et j’ai eu l’immense espoir soudain que ce n’était
rien, que la nuit passée s’apparentait à une espèce de
cuite à deux où nous aurions divagué de conserve, et où
nous nous serions exaltés plus qu’il n’était permis…
Lorsque je t’ai revu, tu t’es montré un peu lointain, un
peu tiède, un peu volage. Oh ! à peine, mais déjà tellement
trop ! À la souffrance qui s’est levée en moi, vive, aiguë,
lancinante, j’ai compris que je pouvais faire une grande
croix sur mes espoirs de guérison, une lourde, une
douloureuse croix. Hélas ! Le diagnostic venait de se
préciser tout à coup, d’une façon lumineuse et
irrémédiable, à ces symptômes trop évidents : mon doute
si ton regard semblait me fuir, et mon chagrin s’il se
posait sur une autre femme…
J’ai tâché de considérer la vérité bien en face : c’était
grave, très grave. Une tumeur peut-être pas incurable, en
tout cas maligne. Pire qu’un abcès cruel mais vite crevé,
une véritable maladie, insidieuse, évolutive, attrapée par
imprudence, par inadvertance, par naïveté. Une maladie