La Femme De Papier

CHAPITRE VII
J’ai revu l’autre jour, par le plus grand des hasards car
je crois qu’il a quitté notre région depuis longtemps, le
délicieux J. Mais si, tu te souviens de lui ! Tu ne peux pas
ne pas t’en souvenir, c’est avec lui que nous avons fini, de
façon mémorable, une soirée d’adieux à la veille des
grandes vacances, en 198… ! Ça ne te rappelle rien ?
Je traversais une avenue très passante de Lyon, à une
heure de pointe, et devant moi, noyée dans la foule et
cependant la dépassant de quelque quinze centimètres
altiers, une silhouette a retenu mon attention. Sa
démarche gracieuse, un peu dansante, ne s’embarrassait
guère du trafic, qu’il semblait fendre miraculeusement.
J’ai failli crier, l’appeler, le rejoindre et lui dire : « Tu me
reconnais ? Comment ça va ? Qu’est-ce que tu deviens ? »
Et puis j’ai préféré le laisser s’éloigner de son grand pas
élastique, et garder pour moi – pour nous – sans l’abîmer
de nouvelles trop fraîches et trop terre à terre, le joli
souvenir qu’il nous avait laissé de ce soir-là…
C’était fin juin, il faisait tiède, et nous avions pour nous
l’illusion d’être libres, le temps d’une grande nuit
extraordinaire, une nuit de fête, de vin et d’amitié. Après,
chacun partirait de son côté, et nous disposions de cette
soirée pour essayer d’anesthésier la mélancolie de la