La Femme De Papier

Ce souvenir me trouble, et tandis que mon
malheureux compagnon abandonne l’assaut et se laisse
rouler à mon côté, découragé, résigné à la débâcle, je
rassemble mes forces pour museler en moi ce qui
ressemble fort à de l’attendrissement.
Halte-là ! Je suis ici par la volonté du peuple… On
connaît la suite, et l’on s’inquiète évidemment déjà. Tant
pis ! Je me passerai de baïonnette ! Mon héroïsme me
sidère moi-même… Je rattrape mon armée en déroute
sur le bord du lit. Fi des longues harangues. Un vrai chef
de guerre donne d’abord des ordres nets et précis. Ainsi
fais-je : « Caresse-moi ! », et comme mon petit piou-piou,
rendu plus timide encore par sa défaite, promène sur moi
une main hésitante et trop discrète, je le guide, d’une
poigne autoritaire et follement indécente, vers le champ
des opérations : je place sa dextre au bas de mon ventre,
et sa senestre (quel vilain terme !) sur mes fesses.
Je suis à genoux presque au-dessus de lui, et je tiens
stratégiquement mes cuisses écartées pour encourager
les grandes manœuvres. Voilà du solide, du précis, du
concret. La Berezina de mon acolyte n’aura pas raison de
mon ardeur. Je suis Napoléon au pont d’Arcole, seule
contre tous, contre toi, contre lui, et même tout contre,
puisque je le chevauche presque…
Mais, nom de Dieu ! qu’il est mignard ! Qui c’est qui
m’a foutu une femmelette pareille ? Il m’effleure de
phalanges circonspectes, et réussit ce tour de force de
m’éviter partout où il pourrait me forcer. Allez, soldat ! Je
vais te tirer l’oreille, puisque je ne peux même pas te tirer
la bite ! Courage !