La Femme De Papier

intéressé, presque incrédule, m’a déjà récompensée.
Laisse-moi faire, je vais t’arranger un coup magnifique…
Je me faufile à travers les couples enlacés qui tanguent
sur la piste, je glisse jusqu’à elle en jouant des fesses et
des épaules. J’y suis. Tout contre elle, à sentir son parfum
et ses effets de reins. Elle ne s’aperçoit pas de ma
présence ; elle a l’air perdue dans un monde à part.
J’effleure son coude, et, comme elle ne réagit pas, j’y pose
ma main. Ah ! Tout de même ! Elle me voit !
L’entrée en matière ne m’embarrasse pas trop. Je lui
montre l’ampoule à mirage que j’ai gardée dans la
paume : « Ça te dit ? » Elle secoue la tête : « Non, j’ai ce
qu’il faut… », mais elle s’est arrêtée de danser, et elle
attend la suite. Sa voix est grave, chaude, mais finalement
plus pâteuse que sensuelle, et elle sent un peu l’alcool.
Tant mieux, ce sera plus facile.
« Tu vois le type, là-bas ? — Assis ? — Oui, en rouge.
— C’est une affaire ? — Je te crois ! — Viens me le
présenter aux toilettes !… »
Quel univers particulier ! L’extrême simplicité de la
démarche m’a presque déçue. Je reviens vers toi assez
peu fière de cette victoire trop aisée. D’un geste je te
convie à me suivre, et tu obéis sans commentaire. Tu
pourrais au moins avoir l’air surpris !…
Au sous-sol, elle est déjà là, à s’examiner dans la glace,
penchant, au risque de les défenestrer, ses seins
magnifiques au-dessus de la vasque rose d’un lavabo de
luxe. Elle nous aperçoit dans le miroir, se retourne. Joli
minois, en vérité, sûrement revu et corrigé par une
chirurgie dite esthétique, qui régularise et banalise en