La Femme De Papier

l’embrasserais !
« Alors on va faire comme si, on verra après… » Ma
formule est assez piteuse, je sais. Ça a l’air d’un chantage
idiot, d’une promesse de récompense pour bons et loyaux
services. Je regarde mon petit bougnoule à la dérobée.
Est-ce que ma phrase l’a fait tiquer ? On ne dirait pas, j’en
suis presque déçue. Mais pourrais-je le jurer ? Il a une
expression un peu énigmatique, lointaine… Je pense à
Gide tout à coup. « Arabes, Arabes campés sur les places,
feux qui s’allument, fumées presque invisibles dans le
soir… »
« Comment tu t’appelles ?
— Djamel, et vous ?
— Oh ! moi, ça n’a pas d’importance, tu m’appelleras
comme tu voudras !… »
Le trajet est silencieux. Je cherche dans ma tête par où
je dois commencer, une fois à la maison. Et finalement, je
ne décide rien. Tout dépendra de lui, de nous, du
moment !… Avouons-le, j’ai le trac !
Au moment de quitter la voiture, je m’aperçois qu’il
est comme ça, les mains dans les poches. « Tu n’avais pas
de cartable ? - Non, j’ai séché les cours aujourd’hui. »
Qu’est-ce que je vous parie que j’ai levé le plus mauvais
élève du lycée ? « C’est pas bien, ça ! » Il a un regard
comique à force d’incrédulité, et j’entends si clairement le
langage de ce regard : « Non, mais elle va pas me faire la
morale, celle-là, ce serait le bouquet ! », que j’éclate de
rire. Il rit aussi. Nous venons de faire le premier pas dans
la complicité. Ce qui m’inquiète un peu, c’est que nous
nous comprenions à demi-mot ; assurément, cela ne fera