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CONFÉRENCE<br />
voie à une qualité morale). On voit que le mot latin lui-même était<br />
familier aux humanistes français dans l’utilisation qu’en fait Brantôme,<br />
qui l’introduit dans un passage écrit en français : « le medium<br />
qu’il faut tenir en tout » (cf. Pline : medium quiddam tenere, et un<br />
emploi similaire chez Thomas d’Aquin). Le premier emploi du<br />
mot français milieu en ce sens attesté par Littré est tiré de Satire,<br />
X, de Régnier : « Ce milieu, des vieux tant rebattu (!), Où l’on mit<br />
par dépit à l’abri la vertu ». La même idée est contenue pour l’essentiel<br />
dans l’exemple qu’il prend à Corneille (quoiqu’il choisisse<br />
de le séparer du milieu* de Régnier) : « Et nous verrons après s’il<br />
n’est point de milieu entre le charmant et l’utile » 41 .<br />
Dans tous ces exemples où il est question du « juste milieu », il<br />
s’agit d’un terme appartenant aux moralistes. Mais sous la connotation<br />
particulière ne s’en trouve pas moins une référence géométrique<br />
essentielle : le point central déterminé par deux extrêmes.<br />
Et c’est dans cette acception géométrique qu’on le trouve dans le<br />
célèbre fragment de Pascal définissant la position de l’homme<br />
entre les deux abîmes extrêmes de « l’infiniment grand » et de<br />
« l’infiniment petit » 42 .<br />
41 On peut noter la persistance, des siècles plus tard, de ce « juste<br />
milieu » moral quand Edmond de Goncourt écrit (Journal, IX, 64) :<br />
« l’aspect un peu sévère de la femme, le sérieux de sa physionomie, le<br />
milieu de gravité mélancolique dans lequel elle se tenait…»<br />
42 Exposant sa théorie des monades, Leibniz développe cette idée de<br />
l’infiniment petit et de l’infiniment grand (« Considérations sur les Principes<br />
de Vie et sur les Natures Plastiques » [1702-16]) :<br />
Il est raisonnable aussi, qu’il y ait des substances capables de perception<br />
au dessous de nous, comme il y en a au dessus ; et que nostre Ame,<br />
bien loin d’estre la derniere de toutes, se trouve dans un milieu dont on<br />
puisse descendre et monter.<br />
La même pensée avait été exprimée avant Pascal par le Français<br />
Charles de Bovelles, cf. Dietrich Mahnke, Unendliche Sphäre, p.109;et