MILIEU ET AMBIANCE.

LEO SPITZER
Je ne me permettrai pas de déterminer jusqu’à quel point
cette exploitation avait été réalisée avant Mme du Chatelet, mais
on voit clairement à travers l’exemple de La Fontaine qui va
suivre, où le terme de milieu* est employé pour représenter le
concept (antique) de « milieu de perception », que, déjà au
XVII e siècle, ce mot s’était répandu dans le vocabulaire des physiciens
français :
Que j’ai toujours haï les pensers du vulgaire !
Qu’il me semble profane, injuste, et téméraire,
Mettant de faux milieux entre la chose et lui,
Et mesurant par soi ce qu’il voit en autrui ! (Fable XXVI)
Cet exemple permet à la traduction de Mme du Chatelet de
franchir facilement un palier, puisqu’elle montre que milieu* est
accepté comme l’équivalent général du puissant mot-outil de
Newton — medium.
Mais il est intéressant de noter que parmi les quelques mediums
qu’on pouvait distinguer chez Newton, c’est le fade et superficiel
ambient medium qui devait fleurir le plus vigoureusement une fois
transplanté dans le terreau français. Une expression telle que « le
milieu interstellaire » à laquelle Lalande 46 renvoie familièrement fait
à peine partie du langage courant. Et des définitions telles que (n° 7)
« tout ce qui sert à établir une communication » ou (n° 15) « tout
corps, soit solide, soit fluide, qui peut être traversé par un autre
corps, spécialement la lumière » que l’on trouve dans Littré sont
fondées sur des exemples de milieu* du dix-huitième siècle. L’expression
qui devait survivre et s’enraciner si profondément dans la
langue au point de ne cesser de donner de nouveaux fruits est :
« milieu ambiant » = « l’élément qui entoure immédiatement un
46 Vocabulaire de la philosophie,s.v.milieu ; le passage en question constitue
le résumé des observations de MM. Beaulavon, Couturat, LeRoy.
L’expression milieu interstellaire est dite « …assez ancienne ; elle
remonte au moins (!) à l’époque de Newton ».
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