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LEO SPITZER<br />
quant à son évolution au siècle suivant, étudions le résumé donné<br />
par Berthelot, cité par Lalande :<br />
l’ambient newtonien ne pourrait s’appliquer ici : car l’air proche du coin<br />
du mur ne serait pas moins ambiant* mais plus ambiant* ! Il semblerait<br />
que la seule manière d’interpréter cet ambiant de Rousseau fût d’oublier<br />
à la fois Paré et Newton, et de le recevoir comme une épithète évoquant<br />
l’idée d’un espace libre et ouvert : un mot reflétant la réaction<br />
d’un être humain devant ce qu’il conçoit comme « l’air ». Ainsi le Dictionnaire<br />
de l’Académie oublie de prendre acte du statut réel du mot au<br />
dix-huitième et au début du dix-neuvième siècle lorsqu’il recense air<br />
ambiant en tant que « terme de physique » uniquement (dans l’édition<br />
de 1776, restée inchangée lors des éditions de 1778 ou de 1825). Ambiant<br />
était capable de connotation poétique, « aérienne » (une connotation qui<br />
a pu jouer son rôle, plus tard, dans l’évolution d’ambiance). — De même<br />
en italien et en espagnol, l’expression abrégée ambiente (raccourcie à<br />
partir d’aria, aire ambiente) signifiait l’« air » (attesté dans ce sens dans le<br />
dictionnaire historique de l’Académie espagnole de 1692 à nos jours).<br />
La description des tableaux essentiels du Palais Royal de Madrid, écrite<br />
en italien par le peintre de cour Mengs en 1776, contient l’affirmation<br />
selon laquelle Corrège, Velasquez et Rembrandt, tous trois doués dans<br />
« l’artifice de la perspective aérienne », avaient compris la nature transparente<br />
de l’air et étaient par conséquent capables de figurer « cette<br />
ambiance qui distingue les objets même dans l’ombre, et permet de saisir<br />
la distance qui les sépare les uns des autres » (je cite d’après la version<br />
anglaise utilisée par J. López-Rey, Gazette des Beaux-Arts, 1946,<br />
p. 138 : le mot italien traduit par « ambiency » [un mot anglais par<br />
ailleurs inconnu de moi] devait être ambiente). Goya lui-même affirmait<br />
qu’il visait à obtenir « la magie d’une ambiance [ambiency] dans un<br />
tableau » (ibid.). Au cours du dix-huitième siècle, ambiente a été accepté<br />
par les peintres comme terme technique (le dictionnaire historique de<br />
l’Académie espagnole le recense ainsi, mais sans donner d’exemples :<br />
« Pint. Efecto de la perspectiva aérea que presta corporeidad a lo pintado<br />
y finge las distancias »). La conquête de l’air et de l’espace par les<br />
artistes renaissants et baroques avait enfin trouvé un équivalent terminologique<br />
tardif.<br />
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