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MILIEU ET AMBIANCE.

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446<br />

CONFÉRENCE<br />

Si ambiance* semble, même aujourd’hui, se cantonner au langage<br />

littéraire, milieu* finit par devenir la propriété du peuple. Un<br />

tel transfert fut facilité par l’existence du type du bourgeois décrit<br />

dans Bouvard et Pécuchet, type qui se complaisait dans l’emploi de<br />

termes abstraits ou scientifiques (cf. l’exemple paradigmatique<br />

donné par Flaubert : « une promenade sera salutaire » à la place<br />

du simple « faisons un tour ») — qui devinrent de ce fait moins<br />

abstraits et seulement pseudo-scientifiques 66 . Ce milieu* populaire<br />

conservait peu de la connotation tainienne ou comtienne du mot ;<br />

ce qui autrefois était un « facteur » dans l’évolution biologique ou<br />

culturelle d’une espèce devint plutôt « un lieu où l’on peut (plus<br />

ou moins confortablement) vivre » ; c’est-à-dire que le lieu*<br />

(« endroit ») éternellement latent était revenu sur le devant de la<br />

scène 67 . Aussi important, toutefois, est l’accent sur le mi de<br />

66 Un exemple intéressant, et extrême, de la vulgarisation de ce mot se<br />

trouve dans son emploi comme référence spécifique au « milieu des prostituées<br />

et des malfrats ». Que milieu soit devenu fréquent dans cette association<br />

particulière (au point que des dictionnaires intitulés L’Argot du<br />

“ Milieu ” soient rédigés par des linguistes — par ex. Lacassagne) est le<br />

signe indubitable que les sociologues, qui donnèrent tant d’importance à<br />

ce mot, étaient eux-mêmes très largement intéressés par l’influence d’environnements<br />

sordides ; c’est le Jukes et Kallikaks qui offre le matériau le<br />

plus vivace à l’étude. D’après le vocabulaire de ces sociologues, milieu a<br />

très bien pu passer dans ce qu’André Thérive a appelé le « parler gendarme*<br />

» ; le sergent de police qui doit faire un rapport a sans aucun<br />

doute entendu des expressions ironiques et compatissantes comme<br />

« dans le milieu des malfaiteurs, des prostituées, tout est permis* » et, pour<br />

montrer sa familiarité avec cette terminologie apprise, fait référence au<br />

« milieu » par excellence*. Plus tard encore, ce mot est absorbé par les habitants<br />

de ce milieu eux-mêmes, pour la plus grande fierté des prostituées<br />

et des malfrats : ils acceptent le mot parce qu’ils ont accepté leur condition<br />

(cf. l’histoire du mot français gueux).<br />

67 On peut objecter que la phonétique populaire qui a transformé la<br />

prononciation de ce mot irait contre la renaissance de la fonction étymologique<br />

de lieu : le groupe phonétique -li- est devenu -y- : miyeu (cf.

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