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LEO SPITZER<br />
437<br />
stantif et du modificatif peut simplement soulever une sensation<br />
passagère hors du flux des choses, dans sa relative et éphémère<br />
autonomie ; dans l’extrait suivant des Frères Zemmgano d’Edmond<br />
de Goncourt :<br />
Tous les émois anxieux et les frissonnements qui se lèvent des<br />
choses contemporaines, et sous le gris et le sans couleur des apparences,<br />
leur tragique, leur dramatique, leur poignant morne, elle (la<br />
clownerie anglaise) en a fait sa proie pour les resservir au public<br />
dans l’acrobatisme,<br />
une essence, une idée sont formulées (le gris des choses au lieu<br />
des choses qui sont grises), mais c’est l’idée de l’éphémère : le gris<br />
est volatil, c’est une bulle de savon ; extrait des choses, il est libre<br />
de disparaître. De même, l’invention d’un *ambiant des milieux a<br />
besoin de montrer qu’une essence a été remarquée, qu’elle a produit<br />
une sensation sur le moment. Mais dans l’expression qui<br />
nous concerne, le phénomène de l’« ambient », jadis senti, a reçu<br />
substance et éternité — un corps incorruptible 64 .<br />
Une fois créé, ambiance* entama une brillante carrière (retracée<br />
par Michaëlsson) dans le langage littéraire, — c’était un mot<br />
évocateur d’un climat spirituel, d’une atmosphère 65 , émanant d’un<br />
64 On doit noter qu’avec les Goncourt, le suffixe –ance était rare ; en<br />
effet, en bons impressionnistes nerveux, ils cherchaient rarement à<br />
fixer l’éternel et l’immobile, mais plutôt à souligner, pendant un<br />
moment, les éléments générateurs de sensation d’une scène fugitive<br />
(même dans leurs titres on les voit insister sur la sensation d’où ils<br />
tirent une idée : « Idées et sensations » !).<br />
65 Les mots atmosphère et climat, qui peuvent de même renvoyer à une<br />
atmosphère psychique, sont proches d’ambiance. Il est intéressant de<br />
noter que la différence qu’il y a entre les deux au plan naturel existe<br />
également au plan spirituel. L’« atmosphère* » d’un groupe ou d’un<br />
lieu peut être sujette au changement perpétuel, de même que l’atmosphère<br />
qu’on respire ; mais le « climat* », cet ensemble d’éléments