MUSIQUES ACTUELLES et JEUNE PUBLIC - Petit Faucheux

doivent se battre sans cesse contre les désirs de rentabilité des directeurs de salles de
spectacles. Ils peuvent dépeindre mille autres facettes d’un métier exercé sans soutien
excessif des organismes officiels : ils le savent, sont en mesure d’en analyser les raisons,
mais en ont tiré les enseignements pour ne pas sombrer dans la lassitude ou l’amertume. Ils
vont psychiquement et artistiquement bien. Du moins est-ce le témoignage qui transparaît à
travers leur discours, même quand ils savent trouver les phrases qu’il faut pour dénoncer la
gravité de la situation. Car pour autant le tableau ne vire pas au rose.
1. Voie unique : danger
Au premier rang des dénonciations se trouve l’emprise écrasante de la télévision. Quand
Christian Merveille dénonce le modèle Star Academy, ce n’est pas pour refuser le droit
d’expression à une esthétique qu’on peut apprécier ou non, mais parce que l’émission se
présente comme une école dont le principe fondateur est celui de l’exclusion à laquelle on
fait participer le public (souligné dans les conversations). On y retrouve officiellement
validées toutes les pulsions les plus instinctives et les plus inhumaines que la civilisation a
tenté plus ou moins de corriger : l’élimination du plus faible n’est que le retour à un certain
eugénisme sur lequel le fascisme, aryen ou autre, a fondé ses pratiques.
Lorsqu’on sait qu’un certain nombre de chanteurs qui ont fait le choix de s’adresser aux
enfants sont parfois d’anciens instituteurs ou éducateurs passionnés à la fois par la musique
et le souci de transmission des valeurs culturelles constitutives de l’homme, on comprend
que la philosophie consistant à éliminer le plus faible ne peut être accepté comme un
délassement de société. Surtout quand cela rejoint une autre philosophie, celle du winner
dont l’objectif est d’écraser l’adversaire pour rester seul en lice. Et que cela se fasse sous les
aspects de la bonne humeur n’enlève rien au cynisme de la démarche.
Un autre point est que ce régime de l’exclusion s’accompagne d’éléments festifs qui
deviennent le modèle du comportement en statut de spectateur. Adultes et enfants, en
regardant les émissions de variétés, apprennent tous les éléments stéréotypés qu’ils
s’empressent de reproduire dans les spectacles musicaux auxquels ils assistent. Battements
des mains au point de ne plus entendre les paroles prononcées par le chanteur, sortie des
briquets au moment des plages planantes, on pourrait dresser la liste des conformismes
appris par mimétisme et autres ficelles intégrées qu’entretiennent parfois certains chanteurs
pourtant fort critiques envers la télévision.
Christian Merveille évoque le jour où un inventeur astucieux inventera les briquets à flamme
virtuelle (comme celles s’élevant au-dessus des bûches dans les cheminées exposées dans
les grandes surfaces de bricolage). On les achètera à l’entrée du spectacle et on pourra en
doter les enfants pour qu’ils les sortent au moment convenu, sans qu’il soit contrevenu aux
règles de sécurité…
Du coup le critère évaluatif d’un spectacle se résume en deux mots : « ça marche ». Qu’estce
qui marche ? Les procédés employés ? La docilité d’un public par rapport à ce qu’on
attend de lui ? Un taux de participation évalué à l’ampleur des gesticulations ? Un
maniement bien maîtrisé des recettes propres à créer un consensus général ?
131