La condition du traducteur de Pierre Assouline - Centre National du ...
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<strong>La</strong> <strong>condition</strong> <strong>du</strong> tra<strong>du</strong>cteur<br />
Olivier Cohen, patron <strong>de</strong>s éditions <strong>de</strong> l’Olivier, ne serait pas embêté<br />
d’avoir à inscrire le nom <strong>du</strong> tra<strong>du</strong>cteur sur la couverture, sauf qu’il ne le fait<br />
jamais :<br />
« Pour <strong>de</strong>s raisons purement esthétiques. Pour la charger le moins possible<br />
en typographie. »<br />
Ce qui ne l’empêche pas <strong>de</strong> reconnaître haut et fort ce que les 30 000<br />
exemplaires ven<strong>du</strong>s en 2008 <strong>de</strong> Fugitives, les nouvelles <strong>de</strong> l’Américaine Alice<br />
Munro, doivent à la qualité <strong>de</strong> la tra<strong>du</strong>ction <strong>de</strong> Jacqueline Huet et Jean-<br />
<strong>Pierre</strong> Carasso :<br />
« Ils ont restitué sa voix 17 . »<br />
<strong>La</strong> charte graphique a bon dos : bon nombre d’éditeurs en prennent prétexte<br />
pour justifier l’absence <strong>de</strong> cette mention susceptible d’« encombrer » la<br />
couverture, voire <strong>de</strong> la « déséquilibrer » par effet <strong>de</strong> surcharge. Les tra<strong>du</strong>cteurs<br />
ne croient pas à l’argument artistique brandi par les éditeurs. D’autant<br />
que nombre <strong>de</strong> couvertures sont purement typographiques et que l’adjonction<br />
d’une ligne en petits caractères ne les déstabiliserait en rien.<br />
Pour vaincre les réticences <strong>de</strong> l’éditeur, et son alibi graphique, il faudrait<br />
commencer par cesser <strong>de</strong> répéter ad nauseam que la discrétion, la transparence,<br />
l’invisibilité sont consubstantielles au tra<strong>du</strong>cteur. Un tel paradigme<br />
ne fait que renforcer le préjugé selon lequel tra<strong>du</strong>ire consiste à repro<strong>du</strong>ire et<br />
qu’il n’est par conséquent nulle raison <strong>de</strong> porter au pinacle un geste somme<br />
toute technique porté par un savoir-faire qui l’est tout autant.<br />
Il faut exiger que figurent sur la couverture <strong>du</strong> livre le nom <strong>du</strong> tra<strong>du</strong>cteur<br />
et la langue d’origine <strong>du</strong> texte, non pour satisfaire sa vanité mais par respect<br />
pour le lecteur. Car cette information est essentielle.<br />
Par les médias<br />
On peut rêver d’une critique littéraire qui s’exercerait aussi sur la tra<strong>du</strong>ction<br />
ou qu’une place soit dévolue à la revisitation critique d’une œuvre par son tra<strong>du</strong>cteur<br />
comme c’est le cas dans Le Matricule <strong>de</strong>s Anges : chaque mois, sur une<br />
page, la rubrique « Tra<strong>du</strong>ction : sur quels textes travaillez-vous ? » donne la<br />
parole à un homme ou une femme <strong>de</strong> l’art. Tant qu’à faire, on peut également<br />
rêver <strong>de</strong> critiques dramatiques qui commenteraient une pièce tra<strong>du</strong>ite en<br />
l’ayant lue avant même <strong>de</strong> l’avoir vue – encore que certains d’entre eux soient<br />
suffisamment curieux et consciencieux pour le faire. Un regard critique sur la<br />
langue <strong>du</strong> théâtre entraînerait un regard critique sur la tra<strong>du</strong>ction.<br />
17. Entretien avec Olivier Cohen, 28 juillet 2009.