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La condition du traducteur de Pierre Assouline - Centre National du ...

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<strong>La</strong> <strong>condition</strong> <strong>du</strong> tra<strong>du</strong>cteur<br />

Une prestation <strong>de</strong> service ?<br />

Les gens <strong>de</strong> théâtre considèrent rarement le tra<strong>du</strong>cteur comme un auteur.<br />

Plutôt un prestataire <strong>de</strong> service. Ils n’ont aucun scrupule à manipuler son<br />

travail. De la proximité <strong>du</strong> plateau à la mise en bouche, tra<strong>du</strong>cteur <strong>de</strong> théâtre<br />

est pourtant un métier en soi. Or son exploitation va <strong>de</strong> pair avec la montée<br />

en puissance <strong>du</strong> metteur en scène, à l’exclusion même <strong>de</strong> l’auteur et <strong>de</strong> la<br />

pièce.<br />

Même si le procédé n’est pas systématique, les plus connus et les plus sollicités<br />

<strong>de</strong>s tra<strong>du</strong>cteurs rencontrent ce type <strong>de</strong> problème. Évoquant leur travail<br />

sur Oncle Vania <strong>de</strong> Tchekhov, les tra<strong>du</strong>cteurs André Markowicz et Françoise<br />

Morvan reconnaissent que <strong>de</strong>s metteurs en scène tels que Clau<strong>de</strong> Yersin,<br />

Charles Tordjmann et Julie Brochen les ont fait participer en interrogeant le<br />

texte avec eux afin <strong>de</strong> l’améliorer. Mais cela n’a pas toujours été le cas :<br />

« Certains metteurs en scène se contentent d’une lecture à la table ou s’en<br />

dispensent, et l’on sait simplement par la SACD que notre tra<strong>du</strong>ction est jouée.<br />

Mais il arrive aussi, <strong>de</strong> plus en plus souvent, malheureusement, que <strong>de</strong>s metteurs<br />

en scène bricolent <strong>de</strong>s bouts <strong>de</strong> notre tra<strong>du</strong>ction en les mélangeant avec<br />

d’autres bouts <strong>de</strong> tra<strong>du</strong>ctions disponibles ou <strong>de</strong>s improvisations personnelles,<br />

<strong>de</strong> manière à toucher les droits… Ce qui est bizarre, c’est l’in<strong>du</strong>lgence dont bénéficie<br />

cette pratique. On a beaucoup <strong>de</strong> mal en France à comprendre qu’une<br />

tra<strong>du</strong>ction est une œuvre au sens plein, qui engage la personne, ou qu’elle n’est<br />

rien. Mais passons. 2 »<br />

Dans ce domaine plus encore que dans d’autres, il faut avoir l’œil sur les<br />

détails apparemment anodins. En évi<strong>de</strong>nce dans le dossier <strong>de</strong> presse <strong>du</strong> Don<br />

Juan <strong>de</strong> Bertolt Brecht au théâtre <strong>de</strong> l’œuvre en janvier 2011, après les noms<br />

<strong>de</strong> la distribution et <strong>du</strong> tra<strong>du</strong>cteur Michel Cadot, une ligne se détache pour<br />

préciser que « L’Arche est éditeur et agent théâtral <strong>du</strong> texte représenté ». Sur<br />

la page <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> <strong>du</strong> dossier <strong>de</strong> presse <strong>de</strong>s Joyeuses commères <strong>de</strong> Windsor à la<br />

Comédie-Française, sous le nom même <strong>de</strong> Shakespeare apparaissent ceux<br />

<strong>de</strong> Jean-Michel Déprats et <strong>de</strong> Jean-<strong>Pierre</strong> Richard comme signataires, non<br />

<strong>de</strong> la tra<strong>du</strong>ction, mais <strong>du</strong> « texte français ». On admire la nuance et on suppute<br />

ce qu’elle signifie. Jean-Michel Déprats, angliciste formé à l’École Normale<br />

supérieure, qui ne tra<strong>du</strong>it que <strong>du</strong> théâtre sans renoncer à « la sécurité <strong>de</strong><br />

l’enseignement » qu’il dispense à l’université <strong>de</strong> Paris-X, reconnaît que, si la<br />

plupart <strong>de</strong>s tra<strong>du</strong>cteurs se rêvent écrivains, lui s’est toujours rêvé comédien.<br />

Il admet qu’il est un tra<strong>du</strong>cteur heureux car reconnu et respecté, mais cela<br />

ne l’empêche pas <strong>de</strong> s’inquiéter <strong>de</strong>s dysfonctionnements observés ailleurs :<br />

2. « À la littérature… Théories <strong>de</strong> la littérature et enseignements <strong>de</strong>s Lettres », Pages personnelles<br />

<strong>de</strong> <strong>Pierre</strong> Campion, 17 août 2005.

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