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Cinq-Mars (Une conjuration sous Louis XIII) - Lecteurs.com

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– Écoutez-moi. Si vous voulez la gloire présente, ne l’espérezpas d’un aussi bel ouvrage. La poésie pure est sentie par bienpeu d’âmes ; il faut, pour le vulgaire des hommes, qu’elle s’allieà l’intérêt presque physique du drame. J’avais été tenté defaire un poëme de Polyeucte ; mais je couperai ce sujet : j’enretrancherai les cieux, et ce ne sera qu’une tragédie.– Que m’importe la gloire du moment ! répondit Milton ; jene songe point au succès : je chante parce que je me senspoëte ; je vais où l’inspiration m’entraîne ; ce qu’elle produitest toujours bien. Quand on ne devrait lire ces vers que centans après ma mort, je les ferais toujours.– Ah ! moi, je les admire avant qu’ils ne soient écrits, dit lejeune officier ; j’y vois le Dieu dont j’ai trouvé l’image innéedans mon cœur.– Qui me parle donc d’une manière si affable ? dit le poëte.– Je suis René Descartes, reprit doucement le militaire.– Quoi ! monsieur ! s’écria de Thou, seriez-vous assez heureuxpour appartenir à l’auteur des Principes ?– J’en suis l’auteur, dit-il.– Vous, monsieur ! mais… cependant… pardonnez-moi…mais… n’êtes-vous pas homme d’épée ? dit le conseiller remplid’étonnement.– Eh ! monsieur, qu’a de <strong>com</strong>mun la pensée avec l’habit ducorps ? Oui, je porte l’épée, et j’étais au siège de La Rochelle ;j’aime la profession des armes, parce qu’elle soutient l’âmedans une région d’idées nobles par le sentiment continuel dusacrifice de la vie ; cependant elle n’occupe pas tout unhomme ; on ne peut pas y appliquer ses pensées continuellement: la paix les assoupit. D’ailleurs on a aussi à craindre deles voir interrompues par un coup obscur ou un accident ridiculeet intempestif ; et si l’homme est tué au milieu de l’exécutionde son plan, là postérité conserve de lui l’idée qu’il n’enavait pas, ou en avait conçu un mauvais ; et c’est désespérant.De Thou sourit de plaisir en entendant ce langage simple del’homme supérieur, celui qu’il aimait le mieux après le langagedu cœur ; il serra la main du jeune sage de la Touraine, et l’entraînadans un cabinet voisin avec Corneille, Milton et Molière,et là ils eurent de ces conversations qui font regarder <strong>com</strong>meperdu le temps qui les précéda et le temps qui doit les suivre.254

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