13.07.2015 Views

Télécharger ce livre au format PDF

Télécharger ce livre au format PDF

Télécharger ce livre au format PDF

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

Il nous trouve deux lits de camp quelque part <strong>au</strong> fond d’une salle. On se couche, nos têtes à quelques<strong>ce</strong>ntimètres l’une de l’<strong>au</strong>tre, en silen<strong>ce</strong>.Une fois sûre qu’il dort, je me f<strong>au</strong>file hors des couvertures, je traverse la salle en passant devant unedouzaine d’Audacieux endormis et je cherche la porte de l’escalier.À mesure que je gravis marche après marche, mes muscles commen<strong>ce</strong>nt à me brûler et mes poumons àmanquer d’air ; et pour la première fois depuis des jours, j’éprouve une sensation de soulagement.Si je ne m’en sors pas trop mal sur terrain plat, en montée, c’est une <strong>au</strong>tre histoire. Au onzième étage,je cherche mon souffle et je me masse la cuisse pour faire passer une crampe. J’ai la poitrine et lesjambes en feu et ça me fait sourire. Exploiter la douleur pour soulager la douleur. Ça paraît absurde.Le temps d’atteindre le dix-septième étage, j’ai l’impression que mes jambes se sont liquéfiées. Je metraîne jusqu’à la salle où on a été interrogés. Elle est vide mais les bancs en amphithéâtre sont toujours enpla<strong>ce</strong>, de même que la chaise sur laquelle j’étais assise. La lune luit derrière un léger écran de nuages.Je pose les mains sur le dossier de la chaise. C’est une chaise en bois toute simple, qui grin<strong>ce</strong> un peu.C’est tellement étrange qu’un objet <strong>au</strong>ssi banal ait été associé à ma décision de détruire l’une desrelations qui comptent le plus pour moi, et d’en abîmer une <strong>au</strong>tre.Comme si ça ne suffisait pas de savoir que j’ai tué Will, que je n’ai pas eu la présen<strong>ce</strong> d’espritd’envisager une <strong>au</strong>tre solution, il va maintenant me falloir vivre avec le jugement des <strong>au</strong>tres, et le fait queplus rien ne sera comme avant – pas même moi.Les Sincères louent les vertus de la vérité, mais ils ne parlent jamais de son prix.L’arête du dossier s’enfon<strong>ce</strong> dans mes p<strong>au</strong>mes. Je serrais plus fort que je ne croyais. Je fixe la chaiseun instant, avant de la hisser les pieds en l’air, en équilibre sur mon ép<strong>au</strong>le g<strong>au</strong>che.J’inspecte les murs de la salle à la recherche d’une échelle ou d’un escalier. Je ne trouve que lesbancs, dont les gradins montent h<strong>au</strong>t <strong>au</strong>-dessus du sol.Je grimpe sur le banc le plus élevé et je brandis la chaise <strong>au</strong>-dessus de ma tête. Elle atteint tout juste lebas des fenêtres sans vitres. Je la projette sur le rebord. Je me suis fait mal à l’ép<strong>au</strong>le – je ne devrais pasme servir de mon bras droit –, mais j’ai d’<strong>au</strong>tres soucis en tête.D’un bond, j’agrippe le rebord en s<strong>au</strong>tant puis je me soulève à la for<strong>ce</strong> des bras, les bi<strong>ce</strong>ps tétanisés.Je balan<strong>ce</strong> une jambe sur l’appui de fenêtre, avant de hisser le reste de mon corps. Une fois sur laplateforme, je fais une p<strong>au</strong>se, inspirant et expirant à grandes goulées.Je me mets debout dans l’encadrement en arche de <strong>ce</strong> qui fut jadis une fenêtre vitrée, pour observer laville. Le lit du fleuve mort s’enroule <strong>au</strong>tour du bâtiment avant de disparaître, enjambé par un pont rouge àla peinture écaillée qui ne surplombe que de la boue. En fa<strong>ce</strong> se dressent de grandes bâtisses pour laplupart abandonnées. C’est difficile d’imaginer que la ville a un jour compté assez d’habitants pour lesremplir toutes.Pendant une seconde, je m’<strong>au</strong>torise à faire défiler le souvenir de l’interrogatoire. L’absen<strong>ce</strong>d’expression de Tobias ; sa colère ensuite, réprimée pour me ménager. Le regard absent de Christina. Lesmurmures, « Merci pour ta franchise ». Facile à dire quand <strong>ce</strong> que j’ai commis ne les affecte pas.Je saisis la chaise et la jette dehors le plus loin possible, en laissant échapper un gémissement quidevient un cri, puis un hurlement. Je hurle debout sur un rebord de fenêtre en h<strong>au</strong>t du Marché desMédisants, pendant que la chaise se précipite vers le sol, je hurle jusqu’à <strong>ce</strong> que ma gorge me brûle.Au bout de sa chute de dix-sept étages, la chaise s’écrase sur le bitume en se brisant comme unsquelette desséché. Je m’assieds, le dos contre l’encadrement, et je ferme les yeux.Et je repense à Al.Je me demande combien de temps il s’est tenu <strong>au</strong> bord du gouffre avant de se jeter dans le vide dans laFosse des Audacieux.Il a dû rester là longtemps, à dresser la liste des choses horribles qu’il avait commises – comme

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!