<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 104malgré tout une vie humaine à tout abandonner. En somme, le jeuneAllemand, ouvrier ou le petit bourgeois, n'a pas un coin <strong>de</strong> sa vie privée quisoit hors d'atteinte <strong>de</strong> la crise. Pour lui les perspectives bonnes ou m<strong>au</strong>vaise,concernant les aspects même les plus intimes <strong>de</strong> son existence propre seformulent immédiatement comme <strong>de</strong>s perspectives concernant la structuremême <strong>de</strong> la société. Il ne peut même rêver d'un effort à faire pour reprendreson propre sort en main qui n'ait la forme d'une action politique. La sommed'énergie dont la plus gran<strong>de</strong> part est d'ordinaire absorbée par la défense <strong>de</strong>sintérêts privés se trouve ainsi, dans l'Allemagne actuelle, portée presque toutentière sur les rapports économiques et politiques qui constituent l'ossature <strong>de</strong>la société elle-même.*Cette énergie reste latente. Dans une situation semblable, qui semblerépondre parfaitement à la définition d'une situation révolutionnaire, tout<strong>de</strong>meure passif. L'observateur, frappé par la convergence <strong>de</strong> toutes les penséessur le problème politique, est <strong>au</strong>ssitôt frappé, et plus vivement encore, parl'absence d'agitation, <strong>de</strong> discussions passionnées dans les rues ou les métros,<strong>de</strong> lecteurs se jetant anxieusement sur leur journal, d'action éb<strong>au</strong>chée ouseulement concertée. Cette contradiction apparente constitue le caractèreessentiel <strong>de</strong> la situation. Le peuple allemand n'est ni découragé, ni endormi ; ilne se détourne pas <strong>de</strong> l'action ; et pourtant il n'agit pas ; il attend. La tâche àremplir peut bien faire hésiter. Car le problème qui se pose <strong>au</strong>x ouvriersallemands n'est pas <strong>de</strong> l'ordre <strong>de</strong> ceux qui se posaient, en 1917, <strong>au</strong>x ouvriersrusses, paix à conclure et terre à partager ; non, il s'agit ici <strong>de</strong> reconstruiretoute l'économie sur <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>ments nouve<strong>au</strong>x. Seule peut donner la force <strong>de</strong>se résoudre à une telle tâche la conscience aiguë qu'il n'y a pas d'<strong>au</strong>tre issuepossible. C'est à quoi les jeunes sont amenés tour à tour par une crise quisemble leur ôter toute perspective d'avenir dans le cadre du régime ; mais cettemême crise leur ôte <strong>au</strong>ssi, peu à peu, la force <strong>de</strong> chercher une issue quelconque.Cette vie d'oisiveté et <strong>de</strong> misère, qui prive les ouvriers <strong>de</strong> leur dignité <strong>de</strong>producteurs, qui ôte <strong>au</strong>x ouvriers qualifiés leur habileté et <strong>au</strong>x <strong>au</strong>tres toutechance <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir habiles à quoi que ce soit, cette vie, à l'égard <strong>de</strong> laquelle ilse produit, après <strong>de</strong>ux, trois, quatre ans, une douloureuse accoutumance, neprépare pas à assumer toutes les responsabilités d'une économie nouvelle.<strong>Les</strong> employés <strong>de</strong> bure<strong>au</strong>, qui sont peu enclins à se considérer comme nesolidaires <strong>de</strong>s ouvriers, sont bien moins capables encore que les ouvriers lesplus découragés <strong>de</strong> chercher le salut en eux-mêmes ; et ils forment une partieconsidérable <strong>de</strong>s salariés et <strong>de</strong>s chômeurs allemands ; la folle prodigalitédéployée par le capitalisme allemand en pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> h<strong>au</strong>te conjoncture, et qui aproduit comme une course à l'accroissement <strong>de</strong>s frais génér<strong>au</strong>x, s'est manifestée<strong>au</strong>ssi dans ce domaine, <strong>au</strong> point qu'il y a, dit-on, en certaines usines, plusd'employés <strong>de</strong> bure<strong>au</strong> que d'ouvriers.Quant <strong>au</strong>x ouvriers <strong>de</strong>s entreprises, ils existent encore, si pénible que soitleur vie, dans les cadres du régime ; ils y vivent mieux que d'<strong>au</strong>tres ; ils ontquelque chose à perdre. Eux <strong>au</strong>ssi, comme les chômeurs, sont <strong>de</strong> simples fétusdans le remous <strong>de</strong> la crise capitaliste ; mais ils peuvent, eux, n'y pas penser à
<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 105tout instant. Une séparation s'établit ainsi entre les chômeurs et eux, qui priveles chômeurs <strong>de</strong> toute prise sur l'économie, mais qui en même temps lesaffaiblit eux-mêmes, menacés qu'ils sont par une réserve <strong>de</strong> travailleursdisponibles presque <strong>au</strong>ssi nombreux que les travailleurs effectifs. Ainsi lacrise n'a d'<strong>au</strong>tre effet que <strong>de</strong> pousser à <strong>de</strong>s sentiments révolutionnaires, mais<strong>de</strong> ramener ensuite, comme <strong>de</strong>s vagues, <strong>de</strong>s couches toujours nouvelles <strong>de</strong> lapopulation. Si elle force presque chaque ouvrier ou petit bourgeois allemand àsentir, un moment ou l'<strong>au</strong>tre, toutes ses espérances se briser contre la structuremême du système social, elle ne groupe pas le peuple allemand <strong>au</strong>tour <strong>de</strong>souvriers résolus à transformer ce système.Une organisation pourrait, dans une certaine mesure, y suppléer ; et lepeuple allemand est le peuple du mon<strong>de</strong> qui s'organise le plus. <strong>Les</strong> trois seulspartis allemands qui soient, actuellement, <strong>de</strong>s partis <strong>de</strong> masse, se réclamenttous trois d'une révolution qu'ils nomment tous trois socialiste. Comment sefait-il donc que les organisations restent, elles <strong>au</strong>ssi, inertes ? Pour lecomprendre, il f<strong>au</strong>t les examiner dans leur vie intérieure et dans leurs rapportsmutuels. Il f<strong>au</strong>t les examiner surtout dans leur rapport avec les forces conscienteset inconscientes dont le jeu détermine la situation politique ; c'est-àdire,d'une part, avec les courants que produit la crise elle-même dans la masse<strong>de</strong> la population, à savoir ceux qui s'accrochent malgré tout <strong>au</strong> régime, ceuxqui désirent aveuglément <strong>au</strong>tre chose, ceux qui veulent tout transformer, ceuxqui se laissent vivre sans espoir <strong>au</strong> jour le jour ; - d'<strong>au</strong>tre part, avec les <strong>de</strong>uxseuls éléments susceptibles d'agir d'une manière méthodique : la fractionrévolutionnaire du prolétariat et la gran<strong>de</strong> bourgeoisie.*Une révolution ne peut être menée que par <strong>de</strong>s hommes conscients etresponsables : on pourrait donc formuler la contradiction essentielle <strong>au</strong> partinational-socialiste en disant que c'est le parti <strong>de</strong>s révolutionnaires inconscientset irresponsables. Toute crise grave soulève <strong>de</strong>s masses <strong>de</strong> gens qui étouffentdans le régime qu'ils subissent sans avoir la force <strong>de</strong> vouloir eux-mêmes letransformer ; ces masses, <strong>de</strong>rrière les révolutionnaires véritables, pourraientconstituer une force ; la signification essentielle du mouvement hitlérien consisteen ceci, qu'il en a groupé une gran<strong>de</strong> partie à part, la faisant ainsinécessairement tomber sous le contrôle du grand capital. Le mouvementnational-socialiste - car les chefs considèrent, avec raison, le terme <strong>de</strong> mouvementpopulaire comme préférable à celui <strong>de</strong> parti - est composé, comme ilrésulte <strong>de</strong> son essence même, <strong>de</strong>s intellectuels, d'une large masse <strong>de</strong> petitsbourgeois, d'employés <strong>de</strong> bure<strong>au</strong> et <strong>de</strong> paysans, et d'une partie <strong>de</strong>s chômeurs ;mais, parmi ces <strong>de</strong>rniers, be<strong>au</strong>coup sont attirés surtout par le logement, lanourriture et l'argent qu'ils trouvent dans les troupes d'ass<strong>au</strong>t. Le lien entre ceséléments si divers est constitué moins par un système d'idées que par unensemble <strong>de</strong> sentiments confus, appuyés par une propagan<strong>de</strong> incohérente. Onpromet <strong>au</strong>x campagnes <strong>de</strong> h<strong>au</strong>ts prix <strong>de</strong> vente, <strong>au</strong>x villes la vie à bon marché.<strong>Les</strong> jeunes gens romanesques sont attirés par <strong>de</strong>s perspectives <strong>de</strong> lutte, <strong>de</strong>dévouement, <strong>de</strong> sacrifice ; les brutes, par la certitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> pouvoir un jourmassacrer à volonté. Une certaine unité est néanmoins assurée en apparencepar le fanatisme nationaliste, que nourrit, chez les petits bourgeois, un vif
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