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“Histoire” livre de Mme Simone Weil au format PDF - Les Classiques ...

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<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 64Ce refus <strong>de</strong> la force a sa plénitu<strong>de</strong> dans la conception <strong>de</strong> l'amour. L'amourcourtois du pays d'oc est la même chose que l'amour grec, quoique le rôle sidifférent joué par la femme cache cette i<strong>de</strong>ntité. Mais le mépris <strong>de</strong> la femmen'était pas ce qui portait les Grecs à honorer l'amour entre hommes, <strong>au</strong>jourd'huichose basse et vile. Ils honoraient pareillement l'amour entre femmes,comme on voit dans le Banquet <strong>de</strong> Pluton et par l'exemple <strong>de</strong> Sapho. Ce qu'ilshonoraient ainsi, ce n'était pas <strong>au</strong>tre chose que l'amour impossible. Par suite,ce n'était pas <strong>au</strong>tre chose que la chasteté. Par la trop gran<strong>de</strong> facilité <strong>de</strong>s mœurs,il n'y avait presque <strong>au</strong>cun obstacle à la jouissance dans le commerce entrehommes et femmes, <strong>au</strong> lieu que la honte empêchait toute âme bien orientée <strong>de</strong>songer à une jouissance que les Grecs eux-mêmes nommaient contre nature.Quand le christianisme et la gran<strong>de</strong> pureté <strong>de</strong> mœurs importée par lespeupla<strong>de</strong>s germaniques eurent mis entre l'homme et la femme la barrière quimanquait en Grèce, ils <strong>de</strong>vinrent l'un pour l'<strong>au</strong>tre objet d'amour platonique. Lelien sacré du mariage tint lieu <strong>de</strong> l'i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong>s sexes. <strong>Les</strong> troubadours <strong>au</strong>thentiquesn'avaient pas plus <strong>de</strong> goût pour l'adultère que Sapho et Socrate pour levice ; il leur fallait l'amour impossible. Aujourd'hui nous ne pouvons penserl'amour platonique que sous la forme <strong>de</strong> l'amour courtois, mais c'est bien lemême amour.L'essence <strong>de</strong> cet amour est exprimée par quelques lignes merveilleuses duBanquet : « Le principal, c'est que l'Amour ne fait ni ne subit <strong>au</strong>cune injustice,ni parmi les dieux, ni parmi les hommes. Car il ne souffre pas par force, quoiqu'il ait à souffrir, car la force n'atteint pas l'Amour. Et quand il agit, il n'agitpas par force ; car chacun volontiers obéit en tout à l'Amour. Un accordconsenti <strong>de</strong> part et d'<strong>au</strong>tre est juste, disent les lois <strong>de</strong> la cité royale. »Tout ce qui est soumis <strong>au</strong> contact <strong>de</strong> la force est avili, quel que soit lecontact. Frapper ou être frappé, c'est une seule et même souillure. Le froid <strong>de</strong>l'acier est pareillement mortel à la poignée et à la pointe. Tout ce qui estexposé <strong>au</strong> contact <strong>de</strong> la force est susceptible <strong>de</strong> dégradation. Toutes choses ence mon<strong>de</strong> sont exposées <strong>au</strong> contact <strong>de</strong> la force, sans <strong>au</strong>cune exception, sinoncelle <strong>de</strong> l'amour. Il ne s'agit pas <strong>de</strong> l'amour naturel, comme celui <strong>de</strong> Phèdre etd'Arnolphe, qui est esclavage et tend à la contrainte. C'est l'amour surnaturel,celui qui dans sa vérité va tout droit vers Dieu, qui en re<strong>de</strong>scend tout droit, unià l'amour que Dieu porte à sa création, qui directement ou indirectements'adresse toujours <strong>au</strong> divin.L'amour courtois avait pour objet un être humain ; mais il n'est pas uneconvoitise. Il n'est qu'une attente dirigée vers l'être aimé et qui en appelle leconsentement. Le mot <strong>de</strong> merci par lequel les troubadours désignaient ceconsentement est tout proche <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> grâce. Un tel amour dans saplénitu<strong>de</strong> est amour <strong>de</strong> Dieu à travers l'être aimé. Dans ce pays comme enGrèce, l'amour humain fut un <strong>de</strong>s ponts entre l'homme et Dieu.La même inspiration resplendit dans l'art roman. L'architecture, quoiqueayant emprunté une forme à Rome, n'a <strong>au</strong>cun souci <strong>de</strong> la puissance ni <strong>de</strong> laforce, mais uniquement <strong>de</strong> l'équilibre ; <strong>au</strong> lieu qu'il y a quelque souillure <strong>de</strong>force et d'orgueil dans l'élan <strong>de</strong>s flèches gothiques et la h<strong>au</strong>teur <strong>de</strong>s voûtesogivales. L'église romane est suspendue comme une balance <strong>au</strong>tour <strong>de</strong> sonpoint d'équilibre, un point d'équilibre qui ne repose que sur le vi<strong>de</strong> et qui est

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