<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 144elle ne trahissait pas les ouvriers, mais luttait contre le fascisme. L'attitu<strong>de</strong> duparti communiste fut celle qui était la plus propre à donner à ces formulesl'apparence <strong>de</strong> la vérité. La Rote Fahne raconta avec enthousiasme comment<strong>de</strong>s communistes et <strong>de</strong>s hitlériens unis démolirent un camion du Vorwaerts,journal social-démocrate ; elle célébra comme une victoire prolétarienne cetteaction à laquelle avaient participé <strong>de</strong>s fascistes. Le parti communiste ne fitrien pour parer <strong>au</strong> danger d'un progrès <strong>de</strong> l'influence hitlérienne sur lesouvriers à la faveur <strong>de</strong> la grève ; pendant la semaine que dura la grève, c'est-àdirejusqu'<strong>au</strong>x élections inclusivement, il dirigea toutes ses attaques contre lasocial-démocratie, et suspendit à peu près sa lutte contre les conceptionsfascistes. Et il semble bien qu'à Berlin le parti national-socialiste ait alorsgagné <strong>de</strong>s voix ouvrières, alors qu'il en perdait partout ailleurs. Or, l'aspectpolitique <strong>de</strong> la grève était d'<strong>au</strong>tant plus important que, par la nature même <strong>de</strong>la corporation en lutte, tout se passait dans la rue. <strong>Les</strong> hitlériens lancèrentleurs sections d'ass<strong>au</strong>t contre les briseurs <strong>de</strong> grève, et se rendirent ainsi maîtres<strong>de</strong> la rue dans certains quartiers. <strong>Les</strong> ouvriers <strong>au</strong>ssi, il est vrai, et surtout leschômeurs <strong>de</strong>scendirent dans la rue, en masse et spontanément, pour ai<strong>de</strong>r lespiquets <strong>de</strong> grève ; si l'on en juge par l'affolement <strong>de</strong>s journ<strong>au</strong>x bourgeois etleurs appels à la répression, le prolétariat dut à ce moment montrer sa force.Le parti communiste ne fit rien pour organiser cette solidarité spontanée. Ilavait pourtant assez <strong>de</strong> militants à Berlin pour pouvoir le faire ; mais cesmilitants étaient à peu prés entièrement absorbés par la propagan<strong>de</strong> électorale.Le dimanche, jour <strong>de</strong>s élections, la bure<strong>au</strong>cratie du syndicat réformisteredoubla ses efforts ; les hitlériens se mirent à troubler la grève en lançant <strong>de</strong>f<strong>au</strong>x bruits. Mais les militants communistes avaient donné toutes leurs forces,sans réserve, à la propagan<strong>de</strong> électorale, sans songer qu'une <strong>au</strong>tre tâche plusimportante les attendait. Berlioz, dans L'Humanité, a raconté comment ilss'endormirent ce soir-là dans un épuisement total et sans arrière-pensée. Lelen<strong>de</strong>main, la Rote Fahne annonçait en lettres géantes que la grève se poursuivraitjusqu'à la victoire ; mais <strong>de</strong>s lettres <strong>de</strong> renvoi vinrent démoraliser lesgrévistes qui n'étaient plus soutenus par les masses <strong>de</strong> la rue. Le parti repoussaavec indignation la proposition faite par quelques oppositionnels <strong>de</strong> ne pluslutter que pour le retrait <strong>de</strong>s licenciements. Néanmoins, le soir même, lacirculation reprenait. Et, le len<strong>de</strong>main, les grévistes retournèrent <strong>au</strong> travail enacceptant, non seulement la réduction <strong>de</strong> salaire qui faisait l'objet du conflit,mais encore le licenciement <strong>de</strong> 2 500 <strong>de</strong> leurs camara<strong>de</strong>s qui se trouvèrentainsi jetés sur le pavé sans même la maigre ressource du secours <strong>de</strong> chômage.C'est là ce que la Rote Fahne osa annoncer sous le titre : « Trahis, mais nonvaincus. »Ainsi, dans la ville qui est, en Allemagne, la cita<strong>de</strong>lle du communisme, <strong>au</strong>moment même où, ayant gagné prés <strong>de</strong> 140 000 voix, il dépassait <strong>de</strong> loin, àBerlin, tous les <strong>au</strong>tres partis, le parti communiste allemand a dû terminer parune capitulation complète une grève déclenchée sous sa responsabilité, dont laportée politique était considérable, et où l'action <strong>de</strong>s masses constituait unfacteur <strong>au</strong>ssi important que celle <strong>de</strong>s grévistes eux-mêmes. Le len<strong>de</strong>mainmême du jour où la victoire électorale avait donné <strong>au</strong> parti communiste une sigran<strong>de</strong> apparence <strong>de</strong> force, l'impuissance réelle du parti apparut <strong>au</strong>ssi clairementet <strong>au</strong>ssi tragiquement que le 20 juillet. Au reste il va <strong>de</strong> soi que toute lapresse officielle <strong>de</strong> l'Internationale Communiste a célébré cette grève commeune victoire.
<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 145Si cette grève n'a pas accru les forces du prolétariat, elle a accru indirectement,et d'une manière décisive, celles <strong>de</strong> la bourgeoisie. Elle constituait,pour les hitlériens, une manœuvre <strong>de</strong> chantage à l'égard <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> bourgeoisie,<strong>de</strong>stinée à faire comprendre à celle-ci qu'elle <strong>de</strong>vait à tout prix, pourson propre salut, empêcher. le parti hitlérien soit <strong>de</strong> s'affaiblir, soit <strong>de</strong> setourner, même momentanément, contre elle. Il n'y a pas d'ailleurs d'<strong>au</strong>tresrelations, entre le parti hitlérien et la gran<strong>de</strong> bourgeoisie, qu'un chantageréciproque et permanent ; chacun voudrait se subordonner l'<strong>au</strong>tre ; chacunpérirait sans l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'<strong>au</strong>tre ; mais un parti peut courir <strong>de</strong>s risques que ne peutcourir une classe. C'est pourquoi la manœuvre tentée par les hitlériens <strong>au</strong>moyen <strong>de</strong> la grève <strong>de</strong>s transports vient finalement d'aboutir, après la tentativeinfructueuse <strong>de</strong> von Schleicher pour domestiquer le mouvement hitlérien, à lanomination <strong>de</strong> Hitler <strong>au</strong> poste <strong>de</strong> chancelier.Pendant les trois mois qui se sont écoulés dans l'intervalle, le particommuniste allemand n'a à peu près rien fait. Quelques jours avant la grève,une conférence extraordinaire du parti avait exclu Neumann, en lui reprochantnotamment d'avoir trop vivement critiqué les f<strong>au</strong>tes commises le 20 juillet,f<strong>au</strong>tes reconnues par la conférence ; et elle avait renouvelé la confiance duparti à Thaelmann, qui ne risque pas <strong>de</strong> critiquer trop vivement les f<strong>au</strong>tes,puisque c'est lui qui les commet. Elle avait <strong>au</strong>ssi abandonné, il est vrai, en enrejetant à tort toute la responsabilité sur Neumann, certaines déviations nationalistes(le mot d'ordre <strong>de</strong> « révolution populaire » substitué à celui <strong>de</strong>« révolution prolétarienne ») ; mais, en fait, la politique nationaliste continua,à peine moins accentuée. On insista be<strong>au</strong>coup plus sur la solidarité <strong>de</strong>sprolétariats français et allemand dans la lutte contre Versailles, ce qui sembleexcellent ; mais il n'y avait là que <strong>de</strong> la poudre jetée <strong>au</strong>x yeux du prolétariatallemand, le parti communiste français ne faisant pas grand-chose à cet égar<strong>de</strong>n <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> quelque titres tapageurs dans L'Humanité 1 . Il est vrai <strong>au</strong>ssi quela conférence avait décidé d'orienter la propagan<strong>de</strong> syndicale surtout vers laconquête d'une position soli<strong>de</strong> à l'intérieur <strong>de</strong>s syndicats réformistes ; on nepeut dire jusqu'à quel point ce mot d'ordre si tardif a été appliqué. Pour lefront unique, la tactique est restée la même ; et, bien qu'en décembre et janvierun renouve<strong>au</strong> <strong>de</strong> terreur hitlérienne ait créé dans les masses un vif courant enfaveur du front unique, on n'a rien tenté pour rendre ces velléités efficaces enles faisant passer dans le domaine <strong>de</strong> l'organisation.Après les journées du 20 juillet et du 7 novembre, celle du 22 janviermanifesta une fois <strong>de</strong> plus, et plus tragiquement encore, l'impuissance du particommuniste. Une semaine <strong>au</strong>paravant, les hitlériens avaient annoncé qu'ilsorganiseraient ce jour-là une manifestation en plein nord <strong>de</strong> Berlin, c'est-à-dire1 Nous ne <strong>de</strong>vons pas nous dissimuler notre responsabilité dans la situation alleman<strong>de</strong>.L'argument favori <strong>de</strong>s hitlériens contre les communistes est « Un ouvrier français estd'abord français, ensuite seulement ouvrier ». Nous <strong>au</strong>rions le droit d'organiser immédiatementune vaste campagne, par articles, tracts brochures ou réunions, ou par tous cesmoyens, pour manifester <strong>au</strong> prolétariat allemand notre solidarité agissante, fairecomprendre <strong>au</strong> peuple français que France, par son impérialisme agressif et son attachement<strong>au</strong> système <strong>de</strong> Versailles est directement responsable du mouvement hitlérien, enfinpréparer un accueil fraternel <strong>au</strong>x camara<strong>de</strong>s allemands que la terreur fasciste forcera peutêtrebientôt à passer la frontière. Rester inactifs sur ce terrain serait une grave f<strong>au</strong>te ; et,<strong>au</strong> cas où le parti communiste n'entreprendrait rien <strong>de</strong> sérieux en ce sens, elle ne feraitque rendre ce <strong>de</strong>voir plus impérieux pour les organisations indépendantes comme notreFédération. (Note <strong>de</strong> S. W.)
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