<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 96inaction également criminelle. Tous <strong>de</strong>ux sont menés par <strong>de</strong>s bure<strong>au</strong>crates, quiaiment toujours mieux attendre on ne sait quelle <strong>au</strong>tre occasion d'agir, plutôtque <strong>de</strong> saisir l'occasion actuelle, qui ne reviendra jamais. <strong>Les</strong> social-démocratesne pensent qu'à reculer le moment où, pour les ouvriers allemands, seposera la question <strong>de</strong> la prise du pouvoir. Mais, dit Trotsky, ce moment nepeut plus être reculé. « La putréfaction du capitalisme signifie que la questiondu pouvoir doit se résoudre sur la base <strong>de</strong>s forces productives actuelles. Enprolongeant l'agonie du régime capitaliste, la social-démocratie n'aboutit qu'àla déca<strong>de</strong>nce continue <strong>de</strong> la culture économique, <strong>au</strong> morcellement du prolétariat,à la gangrène sociale. Elle n'a plus <strong>au</strong>cune <strong>au</strong>tre perspective <strong>de</strong>vantelle ; <strong>de</strong>main, ce sera pire qu'<strong>au</strong>jourd'hui ; après-<strong>de</strong>main - pire que <strong>de</strong>main. »La social-démocratie, fermant les yeux, comme dit encore Trotsky, <strong>de</strong>vantl'avenir, rêvant d'on ne sait quel progrès dans le cadre du régime, s'est trouvéeacculée à la politique misérable qui consistait à s'appuyer, contre la menacehitlérienne, uniquement sur l'État et sur la police. <strong>Les</strong> sarcasmes <strong>de</strong> Trotsky <strong>au</strong>sujet <strong>de</strong> cette politique sont encore bien moins cruels que le démenti cinglantdonné <strong>au</strong>ssitôt par les faits eux-mêmes. Il n'importe. La gran<strong>de</strong> masse <strong>de</strong>souvriers allemands reste encore menée par <strong>de</strong>s bure<strong>au</strong>crates incapables <strong>de</strong> sedétacher <strong>de</strong> l'État capitaliste <strong>au</strong>quel ils ont été si longtemps entièrementsoumis.Le parti communiste, lui, n'est pas passé <strong>de</strong> la sorte à l'ennemi. Il ne s'estpas mis sous la dépendance <strong>de</strong> l'État allemand. Mais en revanche, étantcomplètement gouverné par la bure<strong>au</strong>cratie d'État russe, il est, tout comme leparti social-démocrate, pris <strong>de</strong> ce vertige qui saisit tout bure<strong>au</strong>crate placé<strong>de</strong>vant la nécessité d'agir. Lui <strong>au</strong>ssi préfère fermer les yeux et attendre.Pendant longtemps la théorie, ouvertement avouée, <strong>de</strong>s bure<strong>au</strong>crates placés àla tête du parti communiste allemand a été qu'on pouvait très bien laisserHitler arriver <strong>au</strong> pouvoir ; qu'il s'y userait très vite, et ouvrirait la voie pour larévolution. Pourtant l'expérience italienne a montré trop clairement que laconquête <strong>de</strong> l'État par les ban<strong>de</strong>s fascistes signifie dissolution <strong>de</strong>s organisationsouvrières et extermination <strong>de</strong>s militants. Certes le parti communisteallemand a abandonné bien qu'un peu tard, cette théorie plus lâche encore quesotte ; actuellement ses membres se font tuer tous les jours en combattant lesban<strong>de</strong>s hitlériennes. Mais le parti comme tel a gardé, <strong>au</strong> fond, à peu près lamême attitu<strong>de</strong>. Il attend. Au lieu <strong>de</strong> profiter du conflit aigu qui oppose lasocial-démocratie et même le centre catholique <strong>au</strong> fascisme, il attend, pouragir, que la classe ouvrière alleman<strong>de</strong> ait fait le front unique sous sa direction ;<strong>au</strong>trement dit, il attend avant d'agir d'avoir tous les ouvriers allemands <strong>de</strong>rrièrelui. Mais en attendant, comme il ne fait rien, il n'est pas capable d'attirer mêmequelques milliers d'ouvriers social-démocrates. Il se contente <strong>de</strong> nommersuperbement fasciste tout ce qui n'est pas communiste. <strong>Les</strong> bolchéviks avaientaidé Kerensky à écraser Kornilov, avec l'intention d'écraser ensuite Kerenskylui-même ; le parti communiste allemand, à un moment où sa seule chance <strong>de</strong>salut rési<strong>de</strong> dans le conflit qui met <strong>au</strong>x prises ses divers ennemis, fait ce qu'ilpeut pour les sou<strong>de</strong>r en un seul bloc. Ceux qui, comme Trotsky, recomman<strong>de</strong>ntune <strong>au</strong>tre tactique, il les traite <strong>de</strong> « conciliateurs » qui voudraient « séparerla lutte contre le fascisme <strong>de</strong> la lutte contre le social-fascisme ». Ainsi lesbure<strong>au</strong>crates <strong>de</strong> la social-démocratie et les bure<strong>au</strong>crates du parti communistes'ai<strong>de</strong>nt mutuellement, sans en avoir conscience, à <strong>de</strong>meurer <strong>de</strong> part et d'<strong>au</strong>tredans leur quiétu<strong>de</strong> bure<strong>au</strong>cratique.
<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 97Il n'est pas très étonnant que, parmi les ouvriers allemands, les mieuxadaptés <strong>au</strong> régime suivent aveuglément <strong>de</strong> simples bure<strong>au</strong>crates ; il est plusétonnant qu'il en soit <strong>de</strong> même pour les plus révolutionnaires. La c<strong>au</strong>se en estla subordination étroite <strong>de</strong> l'Internationale communiste à un appareil d'État.Cet état, à en croire Trotsky, se définit comme « une dégénérescence bure<strong>au</strong>cratique<strong>de</strong> la dictature », comme « une dictature personnelle s'appuyant surun appareil impersonnel, qui saisit à la gorge la classe dominante du pays ».On objectera que les gouvernants russes actuels ont, en Russie même,accompli <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s choses. Mais une bure<strong>au</strong>cratie d'État, dans le pays qu'ellegouverne, peut, employant d'un côté la contrainte, s'aidant d'<strong>au</strong>tre part <strong>de</strong>l'élan merveilleux imprimé par la Révolution d'Octobre, accomplir <strong>de</strong>s progrèsindustriels bien supérieurs à ce que peut faire la bure<strong>au</strong>cratie <strong>de</strong>s sociétésanonymes dans les pays capitalistes, où l'économie est anarchique et oùn'existe <strong>au</strong>cun élan. Ce qu'une bure<strong>au</strong>cratie est incapable <strong>de</strong> faire, c'est unerévolution. <strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux caractères d'une bure<strong>au</strong>cratie d'État sont la peur <strong>de</strong>vantl'action décisive, et ce que Trotsky nomme « l'ultimatisme bure<strong>au</strong>cratique ».« L'appareil stalinien ne fait que comman<strong>de</strong>r. Le langage du comman<strong>de</strong>ment,c'est le langage <strong>de</strong> l'ultimatum. Chaque ouvrier doit reconnaître par avanceque toutes les décisions précé<strong>de</strong>ntes, actuelles et futures, du Comité central,sont infaillibles. » Ces <strong>de</strong>ux caractères n'affaiblissent pas une bure<strong>au</strong>cratied'État comme telle, et ne l'empêchent même pas <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s merveilles dansle domaine industriel, bien qu'ils empêchent tout progrès vers un régimesocialiste. Mais l'État russe a imprimé ces, <strong>de</strong>ux caractères à toute l'Internationale.Or « dans l'Union soviétique la révolution victorieuse créa tout <strong>au</strong>moins les prémices matérielles pour l'ultimatisme bure<strong>au</strong>cratique sous formed'appareil <strong>de</strong> coercition. Dans les pays capitalistes, y compris l'Allemagne,l'ultimatisme se transforme en une caricature impuissante et entrave la marchedu parti communiste vers le pouvoir. » Tous ceux qui connaissent les excommunicationslancées, par exemple, par Semard contre tous ceux « quin'approuvent pas entièrement la ligne du Parti » reconnaîtront la justesse <strong>de</strong>cette appréciation.Ainsi la dictature bure<strong>au</strong>cratique qui pèse sur la classe ouvrière russeétouffe <strong>au</strong>ssi la révolution alleman<strong>de</strong>. Si les Russes la secouaient, ce serait unpuissant secours pour les ouvriers allemands. Inversement la révolutionalleman<strong>de</strong> imprimerait à la révolution russe un nouvel essor qui balayeraitsans doute l'appareil bure<strong>au</strong>cratique. À en croire Trotsky, la bure<strong>au</strong>cratie staliniennes'est appuyée jusqu'ici principalement sur le chômage, chaque ouvrierrusse aimant mieux se taire que <strong>de</strong> perdre sa place ; ainsi les succès économiquesdont Staline et ses amis sont si fiers ébranleront leur pouvoir ; car iln'y a plus <strong>de</strong> chômage en Russie. Mais, même en admettant qu'elle se trouve<strong>au</strong> bord <strong>de</strong> l'abîme, la bure<strong>au</strong>cratie russe a encore le temps <strong>de</strong> faire échouer larévolution alleman<strong>de</strong>.*Que faire pour que la révolution alleman<strong>de</strong> triomphe ? Trotsky, pourrésoudre cette question, se place du point <strong>de</strong> vue d'un parti communiste digne<strong>de</strong> ce nom ; et, à ce parti imaginaire, il donne un programme simple et grandiose.Avant tout, former le front unique ; non pas, selon la formule
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