<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 66<strong>de</strong> force. Si on lui obéit en cette qualité, l'obéissance est parfaitement pure.Tel est le sens <strong>de</strong> la fidélité personnelle dans les rapports <strong>de</strong> subordination ;elle laisse la fierté tout à fait intacte. Mais quand on exécute les ordres d'unhomme en tant que dépositaire d'une puissance collective, que ce soit avec ousans amour, on se dégra<strong>de</strong>. Théophile <strong>de</strong> Vi<strong>au</strong> encore, grand poète et à plusieurségards héritier <strong>au</strong>thentique <strong>de</strong> la tradition occitanienne, comprenaitcomme elle le dévouement à un roi ou à un maître. Mais quand Richelieu,dans son travail d'unification, eut tué en France tout ce qui n'était pas Paris,cet esprit disparut complètement. Louis XIV imposait à ses sujets une soumissionqui ne mérite pas le be<strong>au</strong> nom d'obéissance.Dans la Toulouse du début du XIII e siècle la vie sociale était sans doutesouillée, comme partout et toujours. Mais du moins l'inspiration, faite uniquementd'esprit civique et d'obéissance, était pure. Chez ceux qui l'attaquèrentvictorieusement, l'inspiration même était souillée.Nous ne pouvons pas savoir s'il y <strong>au</strong>rait eu une science romane. En ce cassans doute elle <strong>au</strong>rait été à la nôtre ce qu'est le chant grégorien à Wagner. <strong>Les</strong>Grecs, chez qui ce que nous appelons notre science est né, la regardaientcomme issue d'une révélation divine et <strong>de</strong>stinée à conduire l'âme vers lacontemplation <strong>de</strong> Dieu. Elle s'est écartée <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>stination, non par excès,mais par insuffisance d'esprit scientifique, d'exactitu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> rigueur. Lascience est une exploration <strong>de</strong> tout ce qu'il apparaît d'ordre dans le mon<strong>de</strong> àl'échelle <strong>de</strong> notre organisme physique et mental. À cette échelle seulement, carni les télescopes, ni les microscopes, ni les notations mathématiques les plusvertigineuses, ni <strong>au</strong>cun procédé quel qu'il soit ne permet d'en sortir. La sciencen'a donc pas d'<strong>au</strong>tre objet que l'action du Verbe, ou, comme disaient les Grecs,<strong>de</strong> l'Amour ordonnateur. Elle seule, et seulement dans sa plus pure rigueur,peut donner un contenu précis à la notion <strong>de</strong> provi<strong>de</strong>nce, et dans le domaine<strong>de</strong> la connaissance elle ne peut rien d'<strong>au</strong>tre. Comme l'art elle a pour objet labe<strong>au</strong>té. La be<strong>au</strong>té romane <strong>au</strong>rait pu resplendir <strong>au</strong>ssi dans la science.Le besoin <strong>de</strong> pureté du pays occitanien trouva son expression extrêmedans la religion cathare, occasion <strong>de</strong> son malheur. Comme les cathares semblentavoir pratiqué la liberté spirituelle jusqu'à l'absence <strong>de</strong> dogmes, ce quin'est pas sans inconvénients, il fallait sans <strong>au</strong>cun doute qu'hors <strong>de</strong> chez eux ledogme chrétien fût conservé par l'Église, dans son intégrité, comme un diamant,avec une rigueur incorruptible. Mais avec un peu plus <strong>de</strong> foi, on n'<strong>au</strong>raitpas cru que pour cela leur extermination à tous fût nécessaire.Ils poussèrent l'horreur <strong>de</strong> la force jusqu'à la pratique <strong>de</strong> la non-violence etjusqu'à la doctrine qui fait procé<strong>de</strong>r du mal tout ce qui est du domaine <strong>de</strong> laforce, c'est-à-dire tout ce qui est charnel et tout ce qui est social. C'était allerloin, mais non pas plus loin que l'Évangile. Car il est <strong>de</strong>ux paroles <strong>de</strong>l'Évangile qui vont <strong>au</strong>ssi loin qu'il soit possible d'aller. L'une concerne leseunuques qui se sont faits eunuques eux-mêmes à c<strong>au</strong>se du roy<strong>au</strong>me <strong>de</strong>scieux. L'<strong>au</strong>tre est celle que le diable adresse <strong>au</strong> Christ en lui montrant lesroy<strong>au</strong>mes <strong>de</strong> la terre : « Je te donnerai toute cette puissance et la gloire qui yest attachée, car elle m'a été abandonnée, à moi et à quiconque il me plaît d'enfaire part. »
<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 67L'esprit <strong>de</strong> cette époque a reparu et s'est développé <strong>de</strong>puis la Renaissancejusqu'à nos jours, mais avec le surnaturel en moins ; privé <strong>de</strong> la lumière quinourrit, il s'est développé comme peut le faire une plante sans chlorophylle.Aujourd'hui cet égarement que la Bhagavat-Gîta nommait l'égarement <strong>de</strong>scontraires nous pousse à chercher le contraire <strong>de</strong> l'humanisme. Certains cherchentce contraire dans l'adoration <strong>de</strong> la force, du collectif, <strong>de</strong> la Bête sociale ;d'<strong>au</strong>tres dans un retour <strong>au</strong> moyen âge gothique. L'un est possible et mêmefacile, mais c'est le mal ; l'<strong>au</strong>tre n'est pas non plus désirable, et d'ailleurs esttout à fait chimérique, car nous ne pouvons pas faire que nous n'ayons étéélevés dans un milieu constitué presque exclusivement <strong>de</strong> valeurs profanes. <strong>Les</strong>alut serait d'aller <strong>au</strong> lieu pur où les contraires sont un.Si le XIII e siècle avait lu Platon, il n'<strong>au</strong>rait pas nommé lumières <strong>de</strong>sconnaissances et <strong>de</strong>s facultés simplement naturelles. L'image <strong>de</strong> la caverne faitmanifestement apercevoir que l'homme a pour condition naturelle lesténèbres, qu'il y naît, qu'il y vit et qu'il y meurt s'il ne se tourne pas vers unelumière qui <strong>de</strong>scend d'un lieu situé <strong>de</strong> l'<strong>au</strong>tre côté du ciel. L'humanisme n'a paseu tort <strong>de</strong> penser que la vérité, la be<strong>au</strong>té, la liberté, l'égalité sont d'un prixinfini, mais <strong>de</strong> croire que l'homme peut se les procurer sans la grâce.Le mouvement qui détruisit la civilisation romane amena plus tard commeréaction l'humanisme. Arrivés <strong>au</strong> terme <strong>de</strong> ce second mouvement, allons-nouscontinuer cette oscillation monotone et où nous <strong>de</strong>scendons à chaque foisbe<strong>au</strong>coup plus bas ? N'allons-nous pas tourner nos regards vers le pointd'équilibre ? En remontant le cours <strong>de</strong> l'histoire, nous ne rencontrons pas lepoint d'équilibre avant le XII e siècle.Nous n'avons pas à nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r comment appliquer à nos conditionsactuelles d'existence l'inspiration d'un temps si lointain. Dans la mesure oùnous contemplerons la be<strong>au</strong>té <strong>de</strong> cette époque avec attention et amour, danscette mesure son inspiration <strong>de</strong>scendra en nous et rendra peu à peu impossibleune partie <strong>au</strong> moins <strong>de</strong>s bassesses qui constituent l'air que nous respirons.(Le Génie d'Oc, février 1943.)
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