<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 70la confier <strong>au</strong>x fileurs. <strong>Les</strong> trav<strong>au</strong>x exécutés dans ces ateliers - lavage, nettoyage,battage, peignage, cordage - étaient en partie <strong>de</strong>s trav<strong>au</strong>x <strong>de</strong> manœuvres,mais en partie <strong>au</strong>ssi relativement qualifiés. L'organisation <strong>de</strong> l'atelier étaitcelle d'une fabrique mo<strong>de</strong>rne, le machinisme excepté. La division et la spécialisationétaient poussées à l'extrême ; une équipe <strong>de</strong> contremaître assurait lasurveillance ; la discipline était une discipline <strong>de</strong> caserne. <strong>Les</strong> ouvriers, salariés,payés à la journée, sans tarifs ni contrats, dépendaient entièrement dupatron. Ce prolétariat <strong>de</strong> la laine était à Florence la partie la plus méprisée <strong>de</strong>la population. C'était lui <strong>au</strong>ssi qui, <strong>de</strong> toutes les couches révoltées <strong>de</strong> la population,faisait preuve <strong>de</strong> l'esprit le plus radical. On surnommait ces ouvriers lesCiompi et le fait qu'ils ont donné leur nom à l'insurrection montre assez quellepart ils y ont prise.<strong>Les</strong> fileurs et les tisserands étaient, eux <strong>au</strong>ssi, réduits en fait à la conditiond'ouvriers salariés ; mais c'étaient <strong>de</strong>s ouvriers à domicile. Isolés par leurtravail même, privés du droit <strong>de</strong> s'organiser, ils ne semblent avoir fait preuve à<strong>au</strong>cun moment d'esprit combatif. Le tissage était à vrai dire un travail h<strong>au</strong>tementqualifié ; mais l'avantage que les tisserands <strong>au</strong>raient pu retirer <strong>de</strong> ce faitfut annulé, <strong>au</strong> XIV e siècle, par l'afflux à Florence <strong>de</strong> tisserands étrangers, etsurtout allemands. <strong>Les</strong> teinturiers <strong>au</strong> contraire, ouvriers très h<strong>au</strong>tement qualifiés,impossibles à remplacer par <strong>de</strong>s étrangers, parce qu'il n'y avait <strong>de</strong> bonsteinturiers qu'à Florence, entrèrent les premiers <strong>de</strong> tous dans la lutte revendicative.À vrai dire, les teinturiers étaient privilégiés par rapport <strong>au</strong>x <strong>au</strong>trestravailleurs <strong>de</strong> la laine. La teinturerie <strong>de</strong>mandait l'investissement d'un capitalconsidérable, et cet investissement comportait <strong>de</strong> gros risques ; <strong>au</strong>ssi les fabricantsne cherchèrent-ils pas à avoir leurs propres teintureries. Ce fut l’arte<strong>de</strong>lla lana qui créa, pour la teinture, <strong>de</strong> grands loc<strong>au</strong>x renfermant une partie <strong>de</strong>l'outillage, et les mit à la disposition <strong>de</strong> tous les industriels qui voulaient s'enservir ; ainsi les teinturiers ne dépendirent jamais d'un industriel particulier,comme c'était le cas pour les Ciompi, et <strong>au</strong>ssi pour les tisserands, dont lesmétiers appartenaient en général <strong>au</strong>x fabricants. <strong>Les</strong> fouleurs et ton<strong>de</strong>urs <strong>de</strong>drap se trouvaient à cet égard dans la même situation que les teinturiers.Enfin, les teinturiers n'étaient pas entièrement privés <strong>de</strong> droits politiques. Ilsavaient une organisation, purement religieuse, il est vrai, mais qui leur permettait<strong>de</strong> se réunir. Ils n'étaient pas simplement subordonnés à l’arte <strong>de</strong>lla lana,comme les ouvriers <strong>de</strong>s ateliers, les fileurs et les tisserands ; ils en étaientmembres, bien que « membres mineurs », et avaient ainsi une certaine part <strong>au</strong>gouvernement. Aussi leurs intérêts étaient-ils loin <strong>de</strong> coïnci<strong>de</strong>r avec ceux <strong>de</strong>sCiompi, et leur attitu<strong>de</strong> <strong>au</strong> cours <strong>de</strong> l'insurrection le fit voir. Cependant, lesraisons <strong>de</strong> se révolter ne leur manquaient pas. Privés du droit <strong>de</strong> s'organiserpour défendre leurs conditions <strong>de</strong> travail, subordonnés à leurs employeurs qui,<strong>de</strong> par le droit corporatif, <strong>de</strong>venaient leurs juges dès qu'il y avait un différend,ils <strong>au</strong>raient été rapi<strong>de</strong>ment réduits à la situation <strong>de</strong>s <strong>au</strong>tres ouvriers s'ilsn'avaient su profiter <strong>de</strong>s crises économiques et politiques.<strong>Les</strong> premières luttes sociales sérieuses eurent lieu en 1342, sous la tyranniedu duc d'Athènes. C'était un aventurier français à qui Florence, épuisée parles querelles qui avaient sans cesse lieu entre les familles les plus puissantes,remit le pouvoir à vie afin qu'il rétablît l'ordre.Cette élection avait été appuyée surtout par les mécontents, c'est-à-dired'une part par les nobles, à qui on avait rendu l'accès <strong>au</strong>x fonctions publiques,
<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 71mais qui n'en désiraient pas moins voir finir l'État corporatif, et d'<strong>au</strong>tre partpar le peuple. Le duc d'Athènes s'appuya principalement, pendant les quelquesmois qu'il régna, sur les ouvriers, grâce <strong>au</strong>xquels il espérait pouvoir résister àl'hostilité <strong>de</strong> la h<strong>au</strong>te bourgeoisie. Il donna satisfaction <strong>au</strong>x teinturiers, qui seplaignaient d'être payés avec <strong>de</strong>s années <strong>de</strong> retard et d'être sans recours légal,et qui <strong>de</strong>mandaient à constituer un vingt-<strong>de</strong>uxième art ; il organisa lesouvriers <strong>de</strong>s ateliers <strong>de</strong> laine, non pas en une corporation, mais en une associationarmée. Peu après, il fut renversé par une émeute à laquelle presquetoute la population prit part, et où il n'eut pour défenseurs que <strong>de</strong>s bouchers etquelques ouvriers ; l'art <strong>de</strong>s teinturiers ne fut pas créé, mais les prolétaires <strong>de</strong>la laine gardèrent leurs armes et s'en servirent dans les années suivantes. À ladémagogie du duc d'Athènes qui, <strong>au</strong> mépris du droit corporatif, donnaitsatisfaction à toutes les revendications <strong>de</strong>s ouvriers <strong>de</strong> la laine, succédait laplus brutale dictature capitaliste. Aussi les révoltes éclatèrent-elles bientôt. En1343, 1 300 ouvriers se soulèvent ; en 1345, nouve<strong>au</strong> soulèvement, dirigé parun car<strong>de</strong>ur, et ayant pour objectif l'organisation <strong>de</strong>s ouvriers <strong>de</strong> la laine. Lagran<strong>de</strong> peste <strong>de</strong> Florence, qui décime la classe ouvrière, raréfie la maind'oeuvreet provoque ainsi une h<strong>au</strong>sse <strong>de</strong>s salaires telle que l’arte <strong>de</strong>lla lanadoit établir <strong>de</strong>s taxes, rend la lutte <strong>de</strong> classes plus aiguë encore. Après unecrise provoquée par la guerre contre Pise, et qui arrête momentanément lesconflits, le retour <strong>de</strong> la prospérité, par un phénomène qui s'est fréquemmentreproduit <strong>de</strong>puis lors, amène une grève <strong>de</strong>s teinturiers qui dure <strong>de</strong>ux ans et setermine par une défaite, en 1372 ; mais cette défaite ne met pas fin à lafermentation <strong>de</strong>s couches laborieuses.Cette fermentation coïnci<strong>de</strong> avec un conflit entre la petite bourgeoisied'une part, et la gran<strong>de</strong> bourgeoisie, unie dans une certaine mesure à la noblesse,<strong>de</strong> l'<strong>au</strong>tre. <strong>Les</strong> nobles, en tant que classe, ont été définitivement battusquand, après la chute du duc d'Athènes, ils ont tenté <strong>de</strong> s'emparer du pouvoir ;mais la plupart <strong>de</strong>s familles nobles sont alliées à la h<strong>au</strong>te bourgeoisie àl'intérieur du « parti guelfe ». Ce parti guelfe s'est formé dans la lutte, <strong>de</strong>puislongtemps terminée, <strong>de</strong>s Guelfes et <strong>de</strong>s Gibelins ; la confiscation <strong>de</strong>s biens <strong>de</strong>sGibelins lui a donné richesse et puissance. Devenu l'organisation politique <strong>de</strong>la h<strong>au</strong>te bourgeoisie, il domine la cité <strong>de</strong>puis la chute du duc d'Athènes, f<strong>au</strong>sseles scrutins, profite d'une mesure d'exception prise <strong>au</strong>trefois contre lesGibelins et <strong>de</strong>meurée en vigueur pour écarter ses adversaires <strong>de</strong>s fonctionspubliques. Quand, malgré les manœuvres du parti guelfe, Salvestro <strong>de</strong> Medici,un <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> la petite bourgeoisie, <strong>de</strong>vient, en juin 1378, gonfalonier <strong>de</strong>justice, et quand il propose <strong>de</strong>s mesures contre les nobles et contre le partiguelfe, le conflit <strong>de</strong>vient aigu. <strong>Les</strong> compagnies <strong>de</strong>s arts <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt dans la rueen armes ; les ouvriers les soutiennent et mettent le feu à quelques riches<strong>de</strong>meures et <strong>au</strong>x prisons, qui sont pleines <strong>de</strong> prisonniers pour <strong>de</strong>ttes. Finalement,Salvestro <strong>de</strong> Medici a satisfaction. Mais, comme dit Machiavel, « qu'onse gar<strong>de</strong> d'exciter la sédition dans une cité en se flattant qu'on l'arrêtera ouqu'on la dirigera à sa guise ».De la direction <strong>de</strong> la petite et moyenne bourgeoisie, le mouvement tombesous celle du prolétariat. <strong>Les</strong> ouvriers restent dans la rue ; les arts mineurs lesappuient ou laissent faire. Et déjà apparaît le trait qui se reproduira spontanémentdans les insurrections prolétariennes françaises et russes : la peine <strong>de</strong>mort est décrétée par les insurgés contre les pillards. Autre trait propre <strong>au</strong>xsoulèvements <strong>de</strong> la classe ouvrière, le mouvement n'est nullement sangui-
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