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“Histoire” livre de Mme Simone Weil au format PDF - Les Classiques ...

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<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 22pour un tel art une espèce <strong>de</strong> génie, mais <strong>au</strong>ssi une brutalité sans limites et quin'a d'égard à rien.On ne peut dépasser les Romains dans l'art d'être perfi<strong>de</strong>. La perfidie a<strong>de</strong>ux inconvénients : elle suscite l'indignation et empêche qu'on ne soit cru parla suite. <strong>Les</strong> Romains ont su éviter l'un et l'<strong>au</strong>tre, parce qu'ils étaient perfi<strong>de</strong>sseulement quand ils pouvaient à ce prix anéantir leurs victimes. Ainsi <strong>au</strong>cuned'elles n'était en état <strong>de</strong> leur reprocher leur m<strong>au</strong>vaise foi. D'<strong>au</strong>tre part, lesspectateurs étaient frappés <strong>de</strong> terreur ; comme la terreur rend l'âme crédule, laperfidie même <strong>de</strong>s Romains avait pour effet d'<strong>au</strong>gmenter <strong>au</strong> lieu <strong>de</strong> diminuer<strong>au</strong>tour d'eux l'inclination à les croire ; on croit volontiers ce qu'on désirevivement être vrai. En même temps les Romains louaient leur propre bonnefoi avec une conviction contagieuse, et mettaient un soin extrême à sembler sedéfendre et non attaquer, à paraître respecter les traités et les conventions, s<strong>au</strong>florsqu'ils pouvaient frapper impunément, et parfois même en ce cas. Une <strong>de</strong>leurs coutumes était, quand un traité conclu par un <strong>de</strong> leurs consuls leursemblait trop modéré, <strong>de</strong> recommencer la guerre et <strong>de</strong> <strong>livre</strong>r ce consul nu etenchaîné <strong>au</strong>x ennemis en expiation du traité rompu ; ceux-ci, qui ignoraientcet usage et croyaient la paix établie, ne trouvaient dans ce corps nu qu'unefaible consolation. <strong>Les</strong> exemples <strong>de</strong> perfidie et <strong>de</strong> foi violée sont si nombreuxdans l'histoire romaine qu'ils seraient trop longs à tous citer ; ils ont tous uncaractère commun, c'est qu'ils sont calculés et prémédités. C'est, ainsi que lesRomains purent se donner une réputation <strong>de</strong> loy<strong>au</strong>té. Retz dit que lorsqu'on afroi<strong>de</strong>ment résolu <strong>de</strong> faire le mal, on peut gar<strong>de</strong>r les apparences, <strong>au</strong> lieu que sion ne veut pas le faire, et si néanmoins on s'y laisse aller, on provoquetoujours un scandale. <strong>Les</strong> Romains ont appliqué ce principe à la violation <strong>de</strong> laparole donnée ; <strong>au</strong> lieu que les <strong>au</strong>tres peuples qui, comme les Carthaginois,manquèrent à leur parole par besoin, par fureur, par désespoir, eurent uneréputation <strong>de</strong> perfidie même <strong>au</strong>près <strong>de</strong> la postérité, qui n'écoute jamais lesvaincus.Le plus bel exemple est celui <strong>de</strong> P<strong>au</strong>l-Émile, quand il fit en une seuleheure le sac <strong>de</strong> soixante-dix villes et emmena leurs habitants comme esclaves,après avoir promis à ces villes le salut et avoir introduit dans chacune undétachement armé à la faveur <strong>de</strong> cette promesse. Le Sénat était l'<strong>au</strong>teur <strong>de</strong>cette ruse. L'histoire <strong>de</strong>s guerres espagnoles, dans Appien, est pleine <strong>de</strong> génér<strong>au</strong>xromains qui violent leur parole, massacrent <strong>de</strong>s peuples entiers après lesavoir désarmés en leur promettant la liberté et la vie, attaquent par surpriseaprès avoir conclu la paix. Mais le plus affreux effet <strong>de</strong> la perfidie romaine futle malheur <strong>de</strong> Carthage, où une civilisation qui, grâce à l'influence <strong>de</strong> l'Orientet <strong>de</strong> la Grèce, était sans doute pour le moins <strong>au</strong>ssi brillante que la civilisationlatine, fut anéantie pour toujours et sans laisser <strong>au</strong>cune trace.Carthage avait eu d'abord la bonne fortune, si l'on peut dire, d'être vaincuepar un <strong>de</strong>s très rares Romains qui aient donné <strong>de</strong>s marques <strong>de</strong> modération, àsavoir le premier Africain. Elle put ainsi survivre à la perte <strong>de</strong> toute sa puissance,mais dut contracter une alliance avec Rome et promettre <strong>de</strong> ne jamaisengager la guerre sans sa permission. Au cours du <strong>de</strong>mi-siècle qui suivit, lesNumi<strong>de</strong>s ne cessèrent pas d'envahir et <strong>de</strong> piller le territoire <strong>de</strong> Carthage, quin'osait se défendre ; pendant la même pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> temps elle aida les Romainsdans trois guerres. <strong>Les</strong> envoyés carthaginois, prosternés sur le sol <strong>de</strong> la Curie,tenant <strong>de</strong>s rame<strong>au</strong>x <strong>de</strong> suppliants, imploraient avec <strong>de</strong>s larmes la protection <strong>de</strong>

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