<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 148IXRetour à la table <strong>de</strong>s matièresLe parti communiste, surtout en Allemagne, où les <strong>au</strong>tres tendancesrévolutionnaires n'existent à peu près pas, et où l'on aime tant à s'organiser,attire la fraction du prolétariat la plus consciente et la plus résolue. Quel vicecaché dans l'organisation empêche les prolétaires dévoués et héroïques quisont groupés dans le parti communiste allemand <strong>de</strong> servir effectivement leurclasse ? <strong>Les</strong> simples adhérents <strong>au</strong> parti se posent parfois la question ; et ils sedonnent à eux-mêmes comme réponse, avec une touchante bonne foi, laformule consacrée : « La base est responsable. »La base, il est vrai, est assez mêlée. À côté <strong>de</strong> jeunes ouvriers qui, par leurmaturité, leur résolution et leur courage, donnent l'impression d'être en mesure<strong>de</strong> bâtir une société nouvelle, elle en contient d'<strong>au</strong>tres qui, poussés <strong>au</strong> communismepar le désespoir ou par le goût <strong>de</strong> l'aventure, <strong>au</strong>raient <strong>au</strong>ssi bien pualler <strong>au</strong> fascisme, et parfois en viennent ; on y trouve surtout be<strong>au</strong>coup <strong>de</strong>nouve<strong>au</strong>x venus, pleins <strong>de</strong> bonne volonté, mais <strong>au</strong>ssi d'ignorance. Dansl'ensemble il y a certainement, parmi eux, une capacité trop faible <strong>de</strong> décisionet d'initiative. D'<strong>au</strong>tre part les f<strong>au</strong>tes politiques du parti sont, sans <strong>au</strong>cun doute,appuyées à la base par <strong>de</strong>s sentiments vifs. Be<strong>au</strong>coup <strong>de</strong> communistes,notamment, se laissent aveugler par le dégoût légitime que leur inspire lasocial-démocratie ; et surtout les militants déjà âgés, qui n'ont pas oublié lesjours tragiques où le ministre social-démocrate Noske se qualifiait lui-même<strong>de</strong> « chien sanglant ». Comme leur brusquerie fait dégénérer en disputestoutes leurs conversations avec les ouvriers social-démocrates, ils ignorent queceux-ci éprouvent souvent, à l'égard <strong>de</strong> Noske, un dégoût semblable, et leproclament bien h<strong>au</strong>t dans leur propre parti. En revanche, on ne peut nier qu'ilexiste parmi les communistes un certain courant <strong>de</strong> sympathie à l'égard <strong>de</strong>shitlériens, dont parfois, notamment dans les grèves, l'énergie apparente contrasteavantageusement avec les capitulations social-démocrates. On a souventl'impression qu'ouvriers communistes et ouvriers hitlériens, dans leursdiscussions, cherchent en vain à trouver le point <strong>de</strong> désaccord, et frappent àvi<strong>de</strong>. En pleine terreur hitlérienne, on pouvait entendre <strong>de</strong>s hitlériens et <strong>de</strong>scommunistes regretter ensemble le temps où ils luttaient, comme ils disaient,« côte à côte », c'est-à-dire le temps du « plébiscite rouge » ; on pouvait entendreun communiste s'écrier : « Mieux v<strong>au</strong>t être nazi que social-démocrate. »Cependant <strong>de</strong> semblables paroles excitaient <strong>de</strong>s protestations ; car il se trouve<strong>au</strong>ssi, dans le parti communiste, un fort courant en faveur du front unique avecla social-démocratie. Be<strong>au</strong>coup <strong>de</strong> communistes se ren<strong>de</strong>nt clairement comptequ'ils ne peuvent rien faire sans l'appui <strong>de</strong>s ouvriers réformistes. La politiquesuivie en juillet les a rendus heureux ; ils n'ont pas vu ce qu'elle avaitd'insuffisant, et ne se sont pas rendu compte qu'elle était abandonnée dès ledébut d'août. D'une manière générale, il y a, surtout <strong>de</strong>puis le 20 juillet, unmalaise, qui s'est traduit par un renouve<strong>au</strong> <strong>de</strong> vie dans les cellules ; mais un
<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 149malaise sourd. Longtemps les jeunes communistes n'ont pas eu conscience ducaractère aigu <strong>de</strong> la situation, <strong>de</strong> la valeur inappréciable <strong>de</strong> chaque instant ; àcet égard, ils ont fait <strong>de</strong>s progrès dans le courant du mois d'octobre, si l'on encroit le reportage <strong>de</strong> Berlioz. Néanmoins leur inquiétu<strong>de</strong>, <strong>au</strong>tant qu'on peutsavoir, ne prend pas encore une forme articulée.C'est l'appareil du parti qui empêche cette inquiétu<strong>de</strong> <strong>de</strong> prendre une formearticulée, en laissant la menace d'exclusion pour déviation « trotskyste » ou« brandlérienne » suspendue sur la tête <strong>de</strong> chaque communiste. C'est l'appareilqui, en supprimant toute liberté d'expression à l'intérieur du parti, et enaccablant les militants <strong>de</strong> tâches épuisantes et <strong>de</strong> petite envergure, anéantittout esprit <strong>de</strong> décision et d'initiative, et empêche toute éducation véritable <strong>de</strong>snouve<strong>au</strong>x venus par les militants expérimentés. D'ailleurs cette masse <strong>de</strong>nouve<strong>au</strong>x venus <strong>au</strong>ssi ignorants qu'enthousiastes est le véritable appui <strong>de</strong>l'appareil à l'intérieur du parti ; sans cette masse docile, comment réaliser ceschangements complets d'orientation, accomplis sans discussion et en quelquesjours, dont Piatnitsky félicite naïvement le parti allemand ? D'<strong>au</strong>tre part cessentiments fort compréhensibles, mais si dangereux, <strong>de</strong> haine à l'égard <strong>de</strong>ssocial-démocrates, et d'indulgence ou même <strong>de</strong> sympathie à l'égard <strong>de</strong>s hitlériens,ont été, dans bien <strong>de</strong>s occasions, encouragés par la politique imposée <strong>au</strong>parti par l'appareil. D'une manière générale, c'est l'appareil qui a mis laconfusion dans l'esprit <strong>de</strong> chaque communiste allemand, en parant sa proprepolitique <strong>de</strong> tout le prestige <strong>de</strong> la révolution d'octobre ; exactement comme lesprêtres ôtent toute faculté d'examen <strong>au</strong>x fidèles enthousiastes, en couvrant lespires absurdités par l'<strong>au</strong>torité <strong>de</strong> l'Église.Si la responsabilité <strong>de</strong> la faiblesse du parti communiste allemand incombeà la direction, quel est le caractère d'une telle responsabilité ? <strong>Les</strong> trotskystes,à ce sujet, ont souvent répété : « <strong>Les</strong> f<strong>au</strong>tes <strong>de</strong> la social-démocratie sont <strong>de</strong>strahisons, celles du parti communiste ne sont que <strong>de</strong>s erreurs. » Certes l'InternationaleCommuniste n'a encore rien fait <strong>de</strong> comparable <strong>au</strong> vote <strong>de</strong>s créditsmilitaires le 4 août 1914, ou <strong>au</strong> massacre <strong>de</strong>s spartakistes par la socialdémocratieen 1919. Mais, si l'on s'en tient à la pério<strong>de</strong> présente, il est difficile<strong>de</strong> saisir le sens d'une telle formule. Est-ce à dire que la social-démocratiedétourne les ouvriers <strong>de</strong> toute action révolutionnaire, et que le parti communiste,s'il s'y prend mal pour préparer la révolution, engage du moins lesouvriers à chercher une issue dans cette voie ? Mais la révolution, ce n'est pasune religion par rapport à laquelle un m<strong>au</strong>vais croyant vaille mieux qu'unincrédule ; c'est une tâche pratique. On ne peut pas plus être révolutionnairepar <strong>de</strong> simples paroles que maçon ou forgeron. Seule est révolutionnairel'action qui prépare une trans<strong>format</strong>ion du régime ; ou encore les analyses etles mots d'ordre qui ne prêchent pas simplement, mais qui préparent une telleaction. En ce sens il serait hasar<strong>de</strong>ux d'affirmer que le parti communisteallemand, en tant qu'organisation, et indépendamment <strong>de</strong>s sentiments <strong>de</strong> labase, est plus révolutionnaire que la social-démocratie ; encore celle-ci peutellese vanter d'avoir rendu <strong>de</strong>s services be<strong>au</strong>coup plus sérieux que lui, <strong>au</strong>trefois,sur le terrain <strong>de</strong>s réformes. Ou bien la formule <strong>de</strong>s trotskystes signifie-telleque les intentions <strong>de</strong>s bure<strong>au</strong>crates communistes sont plus pures quecelles <strong>de</strong>s bure<strong>au</strong>crates social-démocrates ? La question est insoluble etd'ailleurs sans intérêt. Pratiquement on peut, pour un parti ouvrier, nommererreurs les f<strong>au</strong>tes dues à une m<strong>au</strong>vaise appréciation <strong>de</strong>s intérêts du prolétariat,
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