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“Histoire” livre de Mme Simone Weil au format PDF - Les Classiques ...

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<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 28la tête <strong>de</strong> soixante mille hommes, il investit complètement la ville <strong>de</strong>fortifications pour la réduire par la famine ; il refusa constamment le combatque les Numantins ne se lassaient pas d'offrir. Il ne voulut pas non plus leurpermettre <strong>de</strong> se rendre <strong>au</strong>trement qu'à discrétion. Enfin, contraints par la faimà l'anthropophagie, ils se soumirent. Be<strong>au</strong>coup se tuèrent plutôt que <strong>de</strong> se<strong>livre</strong>r à Scipion. <strong>Les</strong> <strong>au</strong>tres furent vendus comme esclaves, et la ville fut rasée.Ni les lois <strong>de</strong> la guerre, qui ont toujours prescrit <strong>de</strong> traiter une cité moins durementsi elle se rend que si elle est prise d'ass<strong>au</strong>t, ni la vaillance et l'endurancehéroïques dont ces hommes avaient fait preuve ne purent conseiller à Scipionun peu <strong>de</strong> clémence. D'après Appien, certains crurent qu'il avait agi ainsi dansla pensée que les gran<strong>de</strong>s renommées se fon<strong>de</strong>nt sur les gran<strong>de</strong>s catastrophes.Il avait raison, puisque les Romains l'ont honoré du surnom <strong>de</strong> Numantinus etque sa gloire est venue jusqu'à nous.Toutes ces cru<strong>au</strong>tés constituaient <strong>de</strong>s moyens d'élever le prestige. Lepremier principe <strong>de</strong> la politique romaine, à partir <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> victoire surCarthage, et même <strong>au</strong>paravant, fut <strong>de</strong> maintenir le plus h<strong>au</strong>t <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> prestigeen toutes circonstances et à n'importe quel prix. Il est impossible d'aller <strong>au</strong>trementd'une certaine quantité <strong>de</strong> puissance à la domination universelle ; car unseul peuple ne peut pas en dominer be<strong>au</strong>coup d'<strong>au</strong>tres par les forces dont ildispose réellement. Ce principe, poussé jusqu'<strong>au</strong> bout, prescrit que nul nepuisse se croire en mesure d'exercer une pression quelconque sur la volonté dupeuple qui prétend à la domination ; l'impuissance <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s énergiques,<strong>de</strong>s armes, <strong>de</strong>s traités, <strong>de</strong>s services passés, <strong>de</strong> la soumission, <strong>de</strong>s prières doitêtre tour à tour éprouvée. Voilà pourquoi les Romains s'épuisèrent en uneguerre interminable contre une petite cité dont l'existence ne les menaçait enrien, dont la <strong>de</strong>struction ne pouvait leur être utile à rien ; mais ils ne pouvaientsouffrir qu'elle restât libre. Voilà <strong>au</strong>ssi pourquoi ils n'acceptèrent presquejamais <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> paix sinon après une victoire écrasante. <strong>Les</strong> traités nefurent jamais pour eux un obstacle <strong>au</strong>x <strong>de</strong>sseins politiques ; il ne fallait quetrouver la meilleure manière <strong>de</strong> passer outre. <strong>Les</strong> services rendus, comme ilarrive souvent <strong>au</strong>près <strong>de</strong>s souverains et <strong>de</strong>s maîtres, n'amenaient généralementcomme salaire que <strong>de</strong>s humiliations, afin que nul ne se crût <strong>de</strong> droits surRome ; celui qui se révoltait contre un tel traitement se trouvait isolé <strong>de</strong>sennemis <strong>de</strong> Rome par les services mêmes qu'il lui avait précé<strong>de</strong>mment rendus,et était contraint par la défaite à la soumission, sans avoir même le droitd'invoquer ces services pour obtenir <strong>de</strong>s conditions favorables. Ceux quicommençaient par l'alliance et la soumission et s'y maintenaient, n'étant guèremieux traités que <strong>de</strong>s ennemis subjugués par la force, éprouvaient tous lesjours leur propre impuissance par le fait même qu'ils obéissaient à contrecœur.<strong>Les</strong> prières sont le moyen d'action suprême là où il n'en existe <strong>au</strong>cun<strong>au</strong>tre, et par elles les hommes tentent <strong>de</strong> faire fléchir la volonté même <strong>de</strong>sdieux ; mais d'affreux malheurs, <strong>de</strong> pitoyables supplications amenaient rarementles Romains à la clémence. Ainsi tous se sentaient livrés absolument etsans recours à la volonté <strong>de</strong> Rome quelle qu'elle fût, et ils en arrivaient à voirdans cette volonté le <strong>de</strong>stin.Une nation ne peut puiser la force d'agir ainsi que dans la convictionqu'elle a été choisie <strong>de</strong> toute éternité pour être la maîtresse souveraine <strong>de</strong>s<strong>au</strong>tres. Be<strong>au</strong>coup <strong>de</strong> peuples, même misérables, se bercent <strong>de</strong> mythes où ilssont les maîtres <strong>de</strong> tout ; mais les Assyriens peut-être exceptés, les Romainsles premiers, <strong>au</strong>tant qu'on puisse savoir, formèrent sérieusement l'idée d'un

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