<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 110pas oublié le fameux plébiscite hitlérien, que la bure<strong>au</strong>cratie communiste s'estsoudain avisée <strong>de</strong> transformer en « plébiscite rouge ». En se donnant ainsil'apparence <strong>de</strong> prendre <strong>au</strong> sérieux les phrases révolutionnaires du parti hitlérien,elle a considérablement encouragé les ouvriers hitlériens dans leurerreur ; mais elle a fait pire ; elle a suivi le mouvement hitlérien sur le terrainnational. Le parti a publié comme brochure <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong>, et sans commentaires,le recueil <strong>de</strong>s lettres où l'officier Scheringer expliquait qu'il était passédu national-socialisme <strong>au</strong> communisme parce que le communisme, par unealliance militaire avec la Russie, était bien mieux capable <strong>de</strong> servir les finsnationales <strong>de</strong> l'Allemagne. Sur cette plate-forme, Scheringer a formé un groupe,composé <strong>de</strong> gens du meilleur mon<strong>de</strong>, et officiellement contrôlé par leparti. Le mot d'ordre <strong>de</strong> libération nationale (Volksbefreiung) tient, dans lapropagan<strong>de</strong> du parti, une place souvent <strong>au</strong>ssi importante, parfois plus importante,que les mots d'ordre <strong>de</strong> lutte sociale. Il f<strong>au</strong>t remarquer que les ouvrierscommunistes eux-mêmes ne sont pas le moins du mon<strong>de</strong> nationalistes. Maiscette politique les désarme dans leurs discussions avec les ouvriers hitlériens,<strong>au</strong> cours <strong>de</strong>squelles on a l'impression qu'ils n'arrivent pas à trouver le point <strong>de</strong>désaccord. On dirait que le parti communiste fait tout ce qu'il peut pour ne paslaisser apparaître, <strong>au</strong>x yeux <strong>de</strong>s ouvriers peu cultivés, <strong>de</strong> caractère qui ledistingue du mouvement hitlérien, en <strong>de</strong>hors d'une extrême faiblesse. Lerésultat <strong>de</strong> toute cette politique est, pour le parti communiste allemand, unisolement complet <strong>au</strong> sein <strong>de</strong> la classe ouvrière.*Cette situation impose <strong>au</strong> parti communiste une attitu<strong>de</strong> passive qui donneà ses mots d'ordre révolutionnaires le caractère <strong>de</strong> la plus creuse phraséologie.À moitié illégal, sa presse muselée, ses manifestations le plus souvent interdites,il ne peut réagir, <strong>de</strong> peur d'être réduit à l'illégalité complète. Dans sondésarroi, il essaie, dans une situation qui ne laisse place Qu'à <strong>de</strong>s luttes <strong>de</strong>caractère politique, <strong>de</strong> reprendre contact avec les ouvriers <strong>de</strong>s entreprises surle terrain <strong>de</strong>s revendications ; ce qui est comique, si l'on songe qu'en France eten Belgique, il tente <strong>de</strong> donner artificiellement un caractère politique <strong>au</strong>xgrèves revendicatives. Il essaie <strong>de</strong> cacher son impuissance par <strong>de</strong>s mensonges,<strong>de</strong>s vantardises, <strong>de</strong>s mots d'ordre lancés à vi<strong>de</strong>, tels que le mot d'ordre <strong>de</strong>grève générale lancé sans préparation le 21 juillet, qu'<strong>au</strong>cun ouvrier n'a pris <strong>au</strong>sérieux, et qui n'a fait que rendre le parti ridicule.Tout cela répand, dans les rangs du parti, un profond découragement. <strong>Les</strong>uccès remporté <strong>au</strong>x élections ne leur a rendu quelque confiance que grâce<strong>au</strong>x illusions les plus dangereuses concernant la valeur d'un succès électoral.Malgré ce succès, les ouvriers communistes sont en proie à un vague malaise ;ils se ren<strong>de</strong>nt compte que quelque chose ne va pas ; dans les cellules, où onessaie <strong>de</strong> les absorber dans <strong>de</strong>s tâches <strong>de</strong> petite envergure, ils élèvent la voix,ils discutent, chose nouvelle <strong>de</strong>puis quelques années. Mais ils discutent encoretimi<strong>de</strong>ment ; ils ne posent pas les questions essentielles. Des argumentsd'ordre purement sentimental, tels que : « on ne peut pas faire le front uniqueavec Noske et Grzesinsky » , ont facilement prise sur les communistes <strong>de</strong>fraîche date, sans expérience ni culture historique.
<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 111De plus, les communistes <strong>de</strong> la base n'ont pas, en général, conscience <strong>de</strong>traverser un moment décisif <strong>de</strong> l'histoire ; ils ont le sentiment d'avoir be<strong>au</strong>coup<strong>de</strong> temps <strong>de</strong>vant eux, sentiment qui s'explique par la lenteur <strong>de</strong> l'évolutionpolitique en Allemagne. Ceux qui ont gardé quelque espoir <strong>de</strong> victoire,s'atten<strong>de</strong>nt vaguement qu'un jour une trahison <strong>de</strong>s chefs réformistes, plusscandaleuse que les <strong>au</strong>tres, amènera <strong>au</strong> parti communiste les masses socialdémocrates.<strong>Les</strong> petites oppositions communistes essaient en vain <strong>de</strong> transformer cesourd malaise en quelque chose d'articulé ; elles-mêmes, d'ailleurs, gar<strong>de</strong>ntune attitu<strong>de</strong> quelque peu craintive et plus ou moins ambiguë à l'égard du partiofficiel. En général, leurs chefs n'ont d'espoir qu'en un renouve<strong>au</strong> spontanéd'un mouvement révolutionnaire, après une catastrophe où périront les cadresofficiels ; il f<strong>au</strong>t faire exception pour le petit groupe trotskyste, qui n'arriveguère à faire plus qu'à répandre la littérature <strong>de</strong> Trotsky, et pour le partisocialiste ouvrier (S.A.P.). Ce parti, bien que constitué comme oppositionsocial-démocrate, s'est, en fait, orienté vers le mouvement communiste, grâceà l'impulsion <strong>de</strong> la base, formée surtout <strong>de</strong> jeunes ouvriers remarquablementconscients, et sous l'influence <strong>de</strong> militants <strong>de</strong> valeur, anciens brandlérienssortis <strong>de</strong> l'opposition brandlérienne parce que celle-ci, dans les questionsrusses, se solidarise avec Staline. Mais un vice essentiel, qui tient à sa <strong>format</strong>ionmême, frappe ce petit parti d'impuissance ; à la faiblesse numérique d'unesecte, il joint l'intolérance d'une organisation <strong>de</strong> masse. D'une manièregénérale, les oppositions n'arrivent ni à agir par elles-mêmes, ni à mordre surle parti officiel. Et celui-ci reste réduit à prêcher la révolution sans pouvoir lapréparer.*Cette impuissance du parti, qui dit constituer l'avant-gar<strong>de</strong> du prolétariatallemand, pourrait faire conclure, légitimement, en apparence, à l'impuissancedu prolétariat allemand lui-même. Mais le parti communiste allemand n'estpas l'organisation <strong>de</strong>s ouvriers allemands résolus à préparer la trans<strong>format</strong>iondu régime, bien que ceux-ci en soient ou en aient été membres pour la plupart; il constitue une organisation <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong> <strong>au</strong>x mains <strong>de</strong> la bure<strong>au</strong>cratied'État russe, et ses faiblesses sont par là facilement explicables. On comprendsans peine que le parti communiste allemand, armé, par les soins <strong>de</strong> labure<strong>au</strong>cratie russe, <strong>de</strong> la théorie du « socialisme dans un seul pays », soit enm<strong>au</strong>vaise posture pour lutter contre le parti qui s'intitule « parti <strong>de</strong> la révolutionalleman<strong>de</strong> » . Il est clair, d'une manière plus générale, que les intérêts <strong>de</strong>la bure<strong>au</strong>cratie d'État russe ne coïnci<strong>de</strong>nt pas avec les intérêts <strong>de</strong>s ouvriersallemands. Ce qui est d'intérêt vital pour ceux-ci, c'est d'arrêter la réactionfasciste ou militaire ; pour l'État russe, c'est simplement d'empêcher quel'Allemagne, quel que soit son régime intérieur, ne se tourne contre la Russieen formant bloc avec la France. De même une révolution ouvrirait <strong>de</strong>s perspectivesd'avenir <strong>au</strong>x ouvriers allemands ; mais elle ne pourrait que troubler laconstruction <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> industrie en Russie ; et, <strong>de</strong> plus, un mouvementrévolutionnaire sérieux apporterait nécessairement un secours considérable àl'opposition russe dans sa lutte contre la dictature bure<strong>au</strong>cratique. Il est doncnaturel que la bure<strong>au</strong>cratie russe, même en cet instant tragique, subordonne
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