<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 76Le len<strong>de</strong>main matin, qui était le 21 juillet, il ne se trouvait pas réuni sur laplace plus <strong>de</strong> quatre-vingts hommes armés pour la défense <strong>de</strong>s prieurs. Aucungonfalonier ne vint, parce qu'ils avaient appris que toute la ville était en armeset avaient peur <strong>de</strong> quitter leurs maisons. <strong>Les</strong> premiers parmi les insurgés qui setrouvèrent sur la place furent ceux qui s'étaient réunis à Saint-Pierre Majeur ; àleur arrivée la troupe ne fit pas un mouvement. Le reste <strong>de</strong> la multitu<strong>de</strong> apparutensuite, et n'ayant pas rencontré d'obstacles réclama les prisonniers <strong>au</strong>xprieurs avec <strong>de</strong>s cris terribles ; puis, voulant les obtenir par la force, puisqueles menaces n'avaient pas suffi, ils mirent le feu à la maison <strong>de</strong> LuigiGuicciardini ; <strong>au</strong>ssi les prieurs, crainte <strong>de</strong> pire, leur rendirent leurs hommes.Dès qu'ils eurent repris les prisonniers, les insurgés arrachèrent l'étendard <strong>de</strong>la justice à celui qui le portait ; et, marchant sous ce drape<strong>au</strong>, ils allèrent brûlerles maisons <strong>de</strong> nombreux citoyens, en s'attaquant à ceux qui leur étaientodieux pour <strong>de</strong>s raisons publiques ou privées. Be<strong>au</strong>coup <strong>de</strong> citoyens, pourvenger leurs injures particulières, les menaient <strong>au</strong>x maisons <strong>de</strong> leurs ennemis ;il suffisait pour cela qu'une voix criât parmi la multitu<strong>de</strong> : « À la maison d'untel! » ou que celui qui portait en main le gonfalon se tournât <strong>de</strong> ce côté. Enmême temps qu'ils faisaient tant <strong>de</strong> mal, pour y joindre quelque action louableils nommèrent chevaliers Salvestro <strong>de</strong> Medici et jusqu'à soixante-quatre <strong>au</strong>trescitoyens, parmi lesquels Bene<strong>de</strong>tto et Antonio Albenti, Tommaso Strozzi etd'<strong>au</strong>tres <strong>de</strong> leurs amis; be<strong>au</strong>coup reçurent ce titre malgré eux. Ce qui est leplus digne <strong>de</strong> remarque dans cette affaire, c'est le fait que l'on brûla lesmaisons <strong>de</strong> be<strong>au</strong>coup <strong>de</strong> citoyens qui reçurent ensuite dans la même journée,et <strong>de</strong>s mêmes gens ( tant le bienfait chez eux était proche <strong>de</strong> l'injure), le titre<strong>de</strong> chevalier ; c'est ce qui arriva notamment à Luigi Guicciardini, gonfalonier<strong>de</strong> justice. <strong>Les</strong> prieurs, <strong>au</strong> milieu d'un tel tumulte, se voyant abandonnés <strong>de</strong>stroupes, <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong>s arts et <strong>de</strong> leurs gonfaloniers, se décourageaient ; carpersonne n'était venu à leur secours selon les ordres donnés. Des seizegonfalons apparurent seulement l'étendard du Lion d'or et celui <strong>de</strong> la Belette,avec Giovenco <strong>de</strong>lla Stufa et Giovanni Cambi. Encore ceux-là ne restèrent-ilsque peu <strong>de</strong> temps sur la place ; ne se voyant pas suivis par les <strong>au</strong>tres, ils seretirèrent. D'<strong>au</strong>tre part les citoyens, voyant la fureur <strong>de</strong> cette foule effrénée etle palais abandonné, allèrent les uns se renfermer dans leurs maisons, les<strong>au</strong>tres suivre la multitu<strong>de</strong> armée, pour mieux pouvoir, en se trouvant <strong>au</strong> milieud'elle, défendre leurs maisons et celles <strong>de</strong> leurs amis. Ainsi la puissance <strong>de</strong>cette foule allait croissant, celle <strong>de</strong>s prieurs décroissant. Ce désordre dura toutle jour ; et, la nuit venue, les insurgés s'arrêtèrent <strong>au</strong> palais <strong>de</strong> Stefano, <strong>de</strong>rrièrel'église <strong>de</strong> Saint-Barnabé. Ils étaient plus <strong>de</strong> six mille ; et avant la levée dujour, ils contraignirent les arts, par <strong>de</strong>s menaces, à leur envoyer leurs étendards.Lorsque le jour fut venu, ils allèrent avec le gonfalon <strong>de</strong> la justice et lesétendards <strong>de</strong>vant le palais du po<strong>de</strong>stat, et comme celui-ci refusait <strong>de</strong> leur <strong>livre</strong>rle palais, ils l'attaquèrent et triomphèrent.<strong>Les</strong> prieurs, voulant essayer <strong>de</strong> composer avec eux puisqu'ils ne voyaient<strong>au</strong>cun moyen <strong>de</strong> les arrêter par la force, firent venir quatre membres <strong>de</strong> leurscollèges et les envoyèrent <strong>au</strong> palais du po<strong>de</strong>stat pour connaître la volonté <strong>de</strong>sinsurgés. Ces envoyés virent en arrivant que les chefs <strong>de</strong> la plèbe, <strong>de</strong> concertavec les syndics <strong>de</strong>s arts, avaient déjà préparé les <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s qu'ils voulaientadresser <strong>au</strong>x prieurs. Ils revinrent donc chez les prieurs, accompagnés <strong>de</strong>quatre députés <strong>de</strong> la plèbe chargés <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s. On <strong>de</strong>vait interdire à l'art<strong>de</strong> la laine <strong>de</strong> conserver ses juges étrangers ; former trois nouve<strong>au</strong>x arts, l'unpour les ton<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> drap et les teinturiers, l'<strong>au</strong>tre pour les barbiers, faiseurs <strong>de</strong>
<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 77pourpoints, tailleurs et <strong>au</strong>tres arts mécaniques, et le troisième pour le menupeuple ; l'on <strong>de</strong>vait toujours prendre <strong>de</strong>ux prieurs dans ces trois nouve<strong>au</strong>x arts,et trois dans les arts mineurs ; les prieurs <strong>de</strong>vaient assigner à ces nouve<strong>au</strong>x artsun lieu où ils pourraient se réunir ; <strong>au</strong>cun membre <strong>de</strong> ces arts ne <strong>de</strong>vaitpouvoir être contraint, avant un délai <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ans, à payer une <strong>de</strong>tte <strong>de</strong> plus <strong>de</strong>cinquante ducats; le mont-<strong>de</strong>-piété <strong>de</strong>vait cesser <strong>de</strong> réclamer les intérêts et neplus exiger que le capital; il fallait absoudre les emprisonnés et les condamnéset rendre à tous les admonestés 1 leurs droits civiques. <strong>Les</strong> insurgés <strong>de</strong>mandaient<strong>au</strong>ssi be<strong>au</strong>coup <strong>de</strong> faveurs pour ceux qui les avaient soutenus ; enrevanche, ils voulaient faire admonester et bannir leurs ennemis. Ces <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s,bien que déshonorantes et dangereuses pour la république, furent accordéesimmédiatement; crainte <strong>de</strong> pire, par les prieurs, les collèges et le conseildu peuple. Mais pour qu'elles eussent force <strong>de</strong> loi, il fallait encore l'approbationdu conseil <strong>de</strong> la commune ; et comme on ne pouvait réunir <strong>de</strong>ux conseilsle même jour, on dut remettre la chose <strong>au</strong> len<strong>de</strong>main. Néanmoins les arts et laplèbe parurent satisfaits et promirent qu'une fois la loi achevée, il n'y <strong>au</strong>raitplus <strong>au</strong>cun désordre.Le matin venu, pendant que le conseil <strong>de</strong> la commune délibérait, la multitu<strong>de</strong>impatiente et versatile vint sur la place avec ses étendards accoutumés etavec <strong>de</strong>s cris si perçants et si effroyables que le conseil et les prieurs en furentépouvantés. Aussi Guerriante Marignoli, un <strong>de</strong>s prieurs, sur qui la peuragissait plus violemment qu'<strong>au</strong>cune <strong>au</strong>tre émotion, sortit sous prétexte <strong>de</strong>gar<strong>de</strong>r la porte d'en bas et s'enfuit chez lui. Il ne put si bien se cacher en sortantqu'il ne fût reconnu par la foule; on ne lui fit <strong>au</strong>cun mal, mais lamultitu<strong>de</strong>, en le voyant, se mit à crier que tous les prieurs <strong>de</strong>vaient abandonnerle palais, sans quoi leurs fils seraient égorgés et leurs maisons brûlées.Cependant la loi avait été adoptée et les prieurs s'étaient retirés dans leurschambres ; les membres du conseil étaient <strong>de</strong>scendus et, sans sortir, restaientdans la galerie et la cour, désespérant du salut <strong>de</strong> la cité en voyant si peu <strong>de</strong>sentiments d'honneur dans la multitu<strong>de</strong> et tant <strong>de</strong> malignité ou tant <strong>de</strong> frayeurchez ceux qui <strong>au</strong>raient pu soit la contenir, soit l'écraser. Le trouble régnait<strong>au</strong>ssi parmi les prieurs, incertains du salut <strong>de</strong> la patrie, abandonnés par un <strong>de</strong>sleurs, et à qui <strong>au</strong>cun citoyen ne donnait <strong>de</strong> secours ni même <strong>de</strong> conseils.Tandis qu'ils se tenaient ainsi, sans savoir ce qu'ils pouvaient et ce qu'ils<strong>de</strong>vaient faire, Tommaso Strozzi et Bene<strong>de</strong>tto Alberti, soit qu'ils fussentpoussés par l'ambition personnelle et pour rester les maîtres du palais, soitqu'ils crussent que c'était le meilleur parti à prendre, les engagèrent à cé<strong>de</strong>r àla poussée populaire et à rentrer dans leurs maisons comme <strong>de</strong> simplesparticuliers. Devant un pareil conseil, donné par ceux qui avaient été les chefs<strong>de</strong> l'insurrection, Alamanno Acciaioli et Niccolo <strong>de</strong>l Bene, <strong>de</strong>ux prieurs,s'indignèrent, bien que les <strong>au</strong>tres prieurs fussent disposés à s'y conformer ; et,reprenant un peu <strong>de</strong> vigueur, ils dirent que, si les <strong>au</strong>tres voulaient partir, ils nepouvaient s'y opposer, mais que, pour eux, ils ne voulaient pas renoncer à leur<strong>au</strong>torité avant que le moment en fût venu, à moins <strong>de</strong> perdre en même tempsla vie. Ces désaccords redoublèrent la frayeur <strong>de</strong>s prieurs et la colère dupeuple ; enfin le gonfalonier, préférant terminer sa magistrature honteusementplutôt qu'avec péril, se mit sous la protection <strong>de</strong> Tommaso Strozzi qui le fitsortir du palais et le conduisit chez lui. <strong>Les</strong> <strong>au</strong>tres prieurs s'en allèrent ensuite1 Citoyens privés <strong>de</strong> leurs droits en tant que « gibelins », c'est-à-dire sur la pression du parti« guelfe ». (Note <strong>de</strong> S. W.)
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