<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 134Le parti hitlérien est en effet <strong>au</strong>x mains du grand capital, et la socialdémocratie<strong>au</strong>x mains <strong>de</strong> l'État allemand. Mais le prolétariat allemand possè<strong>de</strong>à présent ce qu'il n'avait pas en 1914, un parti communiste. Certes, <strong>de</strong>puis ledébut <strong>de</strong> la crise, le parti communiste a attiré à lui <strong>de</strong> larges masses <strong>de</strong> chômeurset quelques petits bourgeois ; <strong>de</strong> même que le parti hitlérien a attiré <strong>de</strong>larges masses <strong>de</strong> petits bourgeois ruinés et un nombre assez important <strong>de</strong>chômeurs. Il est naturel que ceux qui, ayant, du fait <strong>de</strong> la crise, tout perdu,sont prêts à tout essayer, se jettent sur les <strong>de</strong>ux partis qui promettent dunouve<strong>au</strong> ; et ceux qui se sentent solidaires <strong>de</strong> la classe ouvrière vont à celui<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux partis qui annonce la dictature du prolétariat. Mais ce courantn'entraîne pas les ouvriers <strong>de</strong>s entreprises. Ceux-ci, c'est-à-dire ceux qui ontune responsabilité dans la production, ceux qui, par leur travail quotidien,conservent la société et peuvent la transformer, ou bien restent indifférents, oubien suivent les réformistes. Il y a, bien entendu, <strong>de</strong>s exceptions ; mais ellessont relativement assez peu nombreuses. Aussi la social-démocratie se souciet-ellepeu <strong>de</strong> perdre les chômeurs et les petits bourgeois, que d'ailleurs elle estloin <strong>de</strong> perdre tous. Sa force stratégique est dans les entreprises ; et, quoi quepuisse réserver l'avenir, cette force est jusqu'ici presque intacte. La socialdémocratiene sera vaincue qu'<strong>au</strong> moment où les ouvriers qui travaillentengageront une action assez cohérente et assez étendue pour mettre le systèmesocial en péril.Que les ouvriers <strong>de</strong>s entreprises résistent à la démagogie hitlérienne, celaprouve que, malgré la situation misérable à laquelle ils sont réduits, leurs bassalaires, l'absence <strong>de</strong> sécurité, le chômage qui réduit leurs heures <strong>de</strong> travail etqui frappe en général leur famille, ils ne cè<strong>de</strong>nt pas <strong>au</strong> désespoir. On ne peutassez l'admirer. Mais comment comprendre qu'ils se laissent écraser par lerégime, alors qu'il existe un parti communiste, tout propre, semble-t-il, àconstituer entre leurs mains un outil puissant pour briser et reconstruire lesystème <strong>de</strong> production ? Qu'est-ce qui retient les masses ouvrières qu'occupentencore les entreprises, et particulièrement les éléments encore jeunes, <strong>de</strong> faireconfiance <strong>au</strong> parti communiste ?(L'École émancipée, 23 e année, n° 16, 15 janvier 1933)VLe mouvement communisteRetour à la table <strong>de</strong>s matièresEn pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> prospérité, le mouvement révolutionnaire s'appuie engénéral surtout sur ce qu'il y a <strong>de</strong> plus fort dans le prolétariat, sur ces ouvriersh<strong>au</strong>tement qualifiés qui se sentent l'élément essentiel <strong>de</strong> la production, sesavent indispensables et n'ont peur <strong>de</strong> rien. La crise pousse les chômeurs versles positions politiques les plus radicales ; mais elle permet <strong>au</strong> patronat <strong>de</strong>chasser <strong>de</strong> la production les ouvriers révolutionnaires, et contraint ceux quisont restés dans les entreprises, et qui tous, même les plus habiles, craignent
<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 135<strong>de</strong> perdre leur place, à une attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> soumission. Dès lors le mouvementrévolutionnaire s'appuie <strong>au</strong> contraire sur ce que la classe ouvrière a <strong>de</strong> plusfaible. Ce déplacement <strong>de</strong> l'axe du mouvement révolutionnaire permet seul àla bourgeoisie <strong>de</strong> traverser une crise sans y sombrer ; et inversement, seul unsoulèvement <strong>de</strong>s masses <strong>de</strong>meurées dans les entreprises peut véritablementmettre la bourgeoisie en péril. L'existence d'une forte organisation révolutionnaireconstitue dès lors un facteur à peu près décisif. Mais pour qu'uneorganisation révolutionnaire puisse être dite forte, il f<strong>au</strong>t que le phénomènequi, en pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> crise, réduit le prolétariat à l'impuissance, ne s'y reflète pasou ne s'y reflète que très atténué.Le parti communiste allemand a une force apparente considérable. <strong>Les</strong>souvenirs encore vivants <strong>de</strong> 1919, 1920, même 1923, lui donnent un rayonnement,un prestige que nous, Français, dont la tradition révolutionnaire s'estinterrompue en somme en mai 1871, pouvons difficilement imaginer. Il aentraîné en novembre six millions d'électeurs ; lui-même comptait alors 330000 membres. <strong>Les</strong> groupements tels que la section du Secours Ouvrier, lasection du Secours Rouge, l'association <strong>de</strong>s Libres-penseurs prolétariens, etsurtout les associations sportives rouges sont, eux <strong>au</strong>ssi, nombreux, influents,pleins <strong>de</strong> vie. Cependant la plus importante <strong>de</strong> ces organisations, une organisationmilitaire <strong>de</strong>stinée à la guerre <strong>de</strong>s rues (Rote Front Kämpferbund) a étéinterdite il y a <strong>de</strong>ux ans, et n'a pu vivre dans l'illégalité ; une partie <strong>de</strong>sadhérents est même passée <strong>de</strong>puis <strong>au</strong>x sections d'ass<strong>au</strong>t hitlériennes. Quant <strong>au</strong>parti lui-même, il est nombreux, mais les nouve<strong>au</strong>x venus y sont en majorité ;certains disent qu'un cinquième seulement <strong>de</strong>s adhérents est <strong>au</strong> parti <strong>de</strong>puisplus <strong>de</strong> trois ans. Ce phénomène, qui se retrouve dans plusieurs <strong>au</strong>tres sections<strong>de</strong> l'Internationale, et qui est évi<strong>de</strong>mment dû, <strong>au</strong> moins pour une part, <strong>au</strong> mo<strong>de</strong><strong>de</strong> recrutement et <strong>au</strong> régime intérieur, est particulièrement dangereux enpério<strong>de</strong> révolutionnaire. Enfin et surtout le parti communiste allemand estpratiquement un parti <strong>de</strong> chômeurs ; en mai <strong>de</strong>rnier, les chômeurs y étaientdéjà dans une proportion <strong>de</strong> quatre-vingt-quatre pour cent (cf. I.S.R., n° 1920,p. 916). Quant <strong>au</strong>x organisations syndicales placées sous le contrôle du parti,leurs effectifs sont inférieurs à ceux du parti lui-même, et elles sont composées<strong>de</strong> chômeurs pour une moitié environ. Ainsi à cette séparation entrechômeurs et ouvriers <strong>de</strong>s entreprises que la crise économique produit par ellemême,le mouvement communiste allemand ne porte pas remè<strong>de</strong> ; il la reflète,et la reflète accentuée.C'est donc que le parti communiste n'était pas arrivé à s'implanter soli<strong>de</strong>mentdans les entreprises. La c<strong>au</strong>se principale en est sans doute la tactiquesyndicale. Devant les mesures d'exclusion qui frappèrent maintes fois lesadhérents révolutionnaires <strong>de</strong>s syndicats réformistes, on pouvait choisir entre<strong>de</strong>ux métho<strong>de</strong>s : appeler tous les ouvriers conscients dans les syndicatsrouges, comme fait notre C.G.T.U., ou constituer, avec les seuls exclus, <strong>de</strong>ssyndicats rouges qui ne recrutent pas, et cherchent à <strong>au</strong>gmenter, non leurseffectifs, mais leur influence. Cette <strong>de</strong>rnière tactique a été celle <strong>de</strong>s « chevaliersdu travail » belges ; la grève du Borinage en a montré la valeur, et ellesemble la mieux appropriée quand il ne se produit que <strong>de</strong>s exclusions individuelles.Mais en Allemagne, on n’a pas choisi ; on a organisé parallèlementles syndicats rouges et les organisations d'opposition, et on a toujours maintenucôte à côte les <strong>de</strong>ux mots d'ordre contradictoires : « Renforcez lessyndicats rouges », et : « Travaillez dans les syndicats réformistes. » En
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