<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 92table<strong>au</strong> <strong>de</strong> la vie du roi, et d'un roi si chancelant que tout le mon<strong>de</strong> attendaitcontinuellement sa mort. Il a su conserver tout son calme et toute sa froi<strong>de</strong>application <strong>au</strong>x affaires <strong>de</strong> l'État dans les moments mêmes où le roi semblaitpresque à l'agonie. Cela est certes admirable, et frappait <strong>de</strong> terreur ses adversaires.Au reste chacune <strong>de</strong> ces maladies donnait ensuite <strong>de</strong> nouvelles ressourcesà Richelieu, par <strong>de</strong>s rapports sur la joie que tels et tels avaient manifestée.Quant à lui-même, la haine <strong>de</strong> la reine mère, <strong>de</strong> la Reine régnante, <strong>de</strong> Monsieur,<strong>de</strong>s grands, <strong>de</strong>s corps constitués à son égard était pour le roi la meilleureraison <strong>de</strong> se fier à lui comme ne pouvant souhaiter sa mort ; sa brouille avec lareine mère le délivra <strong>de</strong>s seules raisons que pût avoir le roi <strong>de</strong> le soupçonner.Sa domination sur la France livrée à l'anarchie ne me paraît pas non plus sidifficile, et pour la même raison, c'est que Luynes y avait également bienréussi. L'anarchie était précisément la meilleure ressource. Le souvenir <strong>de</strong>sguerres civiles qui avaient désolé le XVI e siècle, l'impitoyable cru<strong>au</strong>té <strong>de</strong>ssoldats, qui tous, quel que fût leur maître, pillaient, tuaient, torturaient, rançonnaient,violaient les jeunes filles jusque dans les églises, faisait que lepeuple, quelle que fût sa haine du pouvoir, était toujours passionnémenthostile à quiconque s'opposait <strong>au</strong> pouvoir par les armes. Luynes n'a eu <strong>au</strong>cunmal à maintenir la paix en France et écraser en un combat <strong>de</strong>s f<strong>au</strong>teurs <strong>de</strong>guerre civile ; il est trop facile d'insinuer qu'il était proche <strong>de</strong> la chute quand ilest mort, car on n'en sait rien, et on a sans cesse dit la même chose <strong>de</strong>Richelieu pendant sa vie. Richelieu n'a eu <strong>au</strong>cun mal à ne pas craindre lesconjurations et les guerres intérieures contre l'État, en ayant éprouvé lui-mêmela faiblesse pour y avoir pris part. Il vit le parti <strong>de</strong> la reine mère, combattant unpouvoir exécré, hors d'état <strong>de</strong> trouver un appui dans les villes et décomposépar la terreur <strong>au</strong> seul aspect <strong>de</strong>s troupes du roi. Le parti huguenot était seulcapable <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> fermeté ; <strong>au</strong>ssi après un siège qui a exterminé presque touteune ville par la faim, la France était à lui.Ce qui était difficile, c'était <strong>de</strong> rendre efficace ce pouvoir qu'il possédaitsur le roi et le pays, d'obtenir <strong>de</strong>s actions effectives et coordonnées à uneépoque où, excepté l'élite <strong>de</strong> la bourgeoisie, personne n'avait le sens <strong>de</strong> l'obéissanceou d'un <strong>de</strong>voir quelconque envers l'État. Que diraient ceux qui raillent lerégime parlementaire s'ils savaient assez d'histoire pour se souvenir <strong>de</strong> ce quise passait <strong>au</strong>x moments mêmes les plus glorieux du gouvernement <strong>de</strong>Richelieu ? Mais, en sa présence, les choses se faisaient ; et avec le temps, ilest arrivé à ce qu'une fois sur <strong>de</strong>ux environ les choses se fassent même en sonabsence. C'était un chef. Il possédait à un h<strong>au</strong>t <strong>de</strong>gré ce magnétisme qui est, jecrois, quelque chose <strong>de</strong> purement physique, indépendant <strong>de</strong>s qualités du cœurou <strong>de</strong> l'esprit, mais qui, lorsqu'il s'y joint, accomplit <strong>de</strong>s prodiges.Il a eu certes raison d'abaisser une noblesse dont le jeu préféré était laguerre civile agrémentée <strong>de</strong> h<strong>au</strong>te trahison, et d'ailleurs incapable. Sous lui laguerre, soit civile, soit étrangère, n'a que rarement désolé le territoire <strong>de</strong> laFrance. Mais il résulte <strong>de</strong> ses propres Mémoires que, bien qu'il le nie, il adélibérément et impitoyablement entretenu les guerres en Europe, soit qu'il yfit ou non participer la France. Dans son désir passionné d'abaisser la maisond'Autriche, il a empêché toute paix en Allemagne ; et il est impossible d'exagérerles horreurs qu'a souffertes pendant cette guerre interminable cemalheureux pays, où les armées brûlaient ou coupaient tous les blés sur leurpassage, détruisaient les moulins, et passaient <strong>de</strong>s villes entières <strong>au</strong> fil <strong>de</strong>
<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 93l'épée. Sans doute le premier <strong>de</strong>voir d'un chef d'État est envers son proprepays ; pourtant, pour juger Richelieu, il me semble qu'il f<strong>au</strong>t tenir compte,<strong>au</strong>tant que le peut la conjecture, <strong>de</strong> tous les m<strong>au</strong>x qu'il a épargnés et <strong>de</strong> tousceux qu'il a c<strong>au</strong>sés <strong>au</strong>x hommes. Be<strong>au</strong>coup diraient qu'il ne f<strong>au</strong>t pas le jugersur les idées <strong>de</strong> notre temps, parce qu'on n'avait pas alors les mêmes opinionsqu'<strong>au</strong>jourd'hui sur la paix et la guerre ; mais c'est f<strong>au</strong>x, on avait exactement lesmêmes. Le contraire serait étonnant, puisqu'il n'y a peut-être pas une idéemorale parmi les hommes qui ne remonte <strong>au</strong>-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s temps historiques, bienque notre ignorance et notre orgueil nous persua<strong>de</strong>nt qu'il y en a. Richelieudut même, pour apaiser les scrupules du roi, lui faire garantir par <strong>de</strong>s théologiensque les misères <strong>de</strong> la guerre ne lui seraient pas imputées, puisqu'ill'entreprenait pour une juste c<strong>au</strong>se (la défense du duc <strong>de</strong> Mantoue, qui setrouvait sujet français). D'<strong>au</strong>tre part, à quoi servait <strong>au</strong>x paysans français que laguerre ne fût pas sur leur territoire, alors qu'un grand nombre d'entre euxétaient réduits par la misère à manger <strong>de</strong> l'herbe ? Ce n'est pas là <strong>de</strong> la littérature,car Richelieu, analysant un manifeste <strong>de</strong> Gaston d'Orléans où cet excès<strong>de</strong> misère lui est reproché, répond, non pas qu'il y a exagération, maisseulement que Gaston d'Orléans et ses gens en sont eux-mêmes pour une partresponsables par leurs folles dépenses.
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