<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 124encore indéterminée, en un rouage essentiel <strong>de</strong> l'économie, en s'appuyant à lafois sur les syndicats social-démocrates et sur le mouvement national-socialiste.Leipart, dans la bure<strong>au</strong>cratie syndicale ; Gregor Strasser, chez leshitlériens, soutiennent cette tendance, que défen<strong>de</strong>nt, <strong>au</strong> nom du capitalfinancier, quelques jeunes et brillants économistes groupés <strong>au</strong>tour <strong>de</strong> la revuedie Tat, et dont le principal représentant est, dit-on, von Schleicher lui-même.Ce mouvement si disparate semble, à première vue, trouver une sorted'unité dans le fanatisme nationaliste, qui va jusqu'à l'hystérie chez certainespetites bourgeoises, et <strong>au</strong> moyen duquel on essaie <strong>de</strong> ressusciter l'union sacréed'<strong>au</strong>trefois, baptisée « socialisme du front » Mais on n'y réussit guère. Lapropagan<strong>de</strong> nationaliste ne se suffit pas à elle-même. <strong>Les</strong> hitlériens doiventprofiter du sentiment commun à tous les Allemands, que leur peuple n'est passeulement écrasé par l'oppression du capitalisme allemand, mais <strong>au</strong>ssi par lepoids supplémentaire dont pèse, sur toute l'économie alleman<strong>de</strong>, l'oppression<strong>de</strong>s nations victorieuses ; et ils s'efforcent <strong>de</strong> faire croire, d'une part que ce<strong>de</strong>rnier poids est <strong>de</strong> be<strong>au</strong>coup le plus écrasant, d'<strong>au</strong>tre part que le caractèreoppressif du capitalisme allemand est dû uniquement <strong>au</strong>x juifs. Il en résulte unpatriotisme bien différent du nationalisme sot et cocardier que nous connaissonsen France ; un patriotisme fondé sur le sentiment que les nations victorieuses,et surtout la France, représentent le système actuel, et l'Allemagne,toutes les valeurs humaines écrasées par le régime ; sur le sentiment, ensomme, d'une opposition radicale entre les termes d'Allemand et <strong>de</strong> capitaliste.On ne peut qu'admirer la puissance <strong>de</strong> rayonnement que possè<strong>de</strong> en cemoment, en Allemagne, le prolétariat, quand on voit que le parti hitlérien, quiest <strong>au</strong>x mains <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> bourgeoisie et recrute surtout <strong>de</strong>s petits bourgeois,doit présenter le patriotisme même comme une simple forme <strong>de</strong> la lutte contrele capital. Ce qui est plus be<strong>au</strong> encore, c'est que, dans une semblable situation,cette propagan<strong>de</strong> ait en somme peu <strong>de</strong> prise sur les ouvriers, y compris lesouvriers hitlériens. Ceux-ci, dans leurs discussions fréquentes, et parfoispresque amicales, avec les communistes, les raillent bien pour leurs illusionsconcernant une soi-disant solidarité internationale qui n'existe pas ; ils ne lesaccusent pas <strong>de</strong> trahir la patrie. Même quand ils combattent les communistes,les ouvriers hitlériens laissent en général la question nationale <strong>au</strong> second plan,et restent sur le terrain <strong>de</strong>s intérêts ouvriers. Ils accusent le gouvernementrusse <strong>de</strong> rendre les ouvriers russes malheureux, alors que Hitler rendrait lesouvriers allemands heureux, en donnant à chacun un lopin <strong>de</strong> terre, et en lesprotégeant paternellement contre les exigences exagérées du patronat ; et ilsreprochent amèrement <strong>au</strong>x communistes allemands <strong>de</strong> trahir la révolution,quand ils se rangent <strong>au</strong>x côtés <strong>de</strong>s social-démocrates, ces soutiens du régime,contre eux, ouvriers hitlériens, qui se croient sincèrement <strong>de</strong> bons révolutionnaires.En somme la propagan<strong>de</strong> hitlérienne, tout en donnant <strong>au</strong>x ouvriers qu'elletouche les idées les plus confuses, et en les empêchant d'atteindre à une véritableconscience <strong>de</strong> classe, leur laisse leur esprit ouvrier. Un ouvrier allemand,même hitlérien, reste avant tout un ouvrier. Et surtout les jeunes ouvriersgar<strong>de</strong>nt intact, dans le mouvement hitlérien, ce sentiment qui est <strong>au</strong> cœur <strong>de</strong>toute la jeunesse ouvrière alleman<strong>de</strong>, ce sentiment impérieux d'un avenir quileur appartient, <strong>au</strong>quel ils ont droit, dont les coupe impitoyablement lesystème social, et pour lequel il leur f<strong>au</strong>t briser le système. <strong>Les</strong> petits bourgeoishitlériens, <strong>de</strong> leur côté, restent <strong>de</strong>s petits bourgeois, ballottés entre
<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 125l'influence <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> bourgeoisie, et l'influence, nettement plus forte en cemoment, du prolétariat. <strong>Les</strong> grands bourgeois restent, dans le mouvementhitlérien, <strong>de</strong> grands bourgeois, les aristocrates <strong>de</strong>s aristocrates ; quant <strong>au</strong>xsimples brutes qui, quelle que soit leur classe sociale, y sont facilementattirées, elles restent <strong>de</strong> simples brutes ; Hitler est arrivé à réunir, dans sonmouvement, toutes les classes ; il n'est nullement arrivé à les fondre. Mais,plus ce parti est disparate, plus sa politique comporte <strong>de</strong> contradictions essentielles,plus il f<strong>au</strong>t que quelque chose maintienne ces éléments si divers en unseul bloc. Mais quoi ?Ce qui unit les membres du mouvement hitlérien, c'est tout d'abord l'avenirque celui-ci leur promet. Quel avenir ? Un avenir qui n'est pas décrit, ou l'est<strong>de</strong> plusieurs manières contradictoires, et peut être ainsi pour chacun <strong>de</strong> lacouleur <strong>de</strong> ses rêves. Mais, ce dont on est sûr, c'est que ce sera un systèmeneuf, un « troisième reich », quelque chose qui ne ressemblera ni <strong>au</strong> passé, nisurtout <strong>au</strong> présent. Et ce qui attire, vers cet avenir confus, intellectuels, petitsbourgeois, employés, chômeurs, c'est qu'ils sentent, dans le parti qui le leurpromet, une force. Cette farce éclate partout, dans les défilés en uniforme,dans les attentats, dans les avions employés pour la propagan<strong>de</strong> ; et tous cesfaibles vont vers cette force comme <strong>de</strong>s mouches vers la flamme. Ils ne saventpas que, si cette force apparaît comme si puissante, c'est qu'elle est la farce,non <strong>de</strong> ceux qui préparent l'avenir, mais <strong>de</strong> ceux qui règnent sur le présent. Laperspective d'un avenir indéterminé, le sentiment d'une force inconnue, envoilà plus qu'il ne f<strong>au</strong>t pour conduire, en ban<strong>de</strong>s disciplinées, ces désespérés,qui ont soif d'une trans<strong>format</strong>ion sociale, <strong>au</strong> massacre <strong>de</strong> tous ceux quipréparent cette trans<strong>format</strong>ion.Mais ce danger n'est-il pas écarté ? Le mouvement hitlérien n'est-il pas enpleine déca<strong>de</strong>nce ? Et les ouvriers hitlériens ne sont-ils pas convertis à lapratique <strong>de</strong> la lutte <strong>de</strong>s classes ?Sans <strong>au</strong>cun doute le mouvement hitlérien est affaibli. Cet affaiblissementest moins dû à la résistance ouvrière qu'<strong>au</strong>x luttes <strong>de</strong>s fractions bourgeoises.En juillet les hobere<strong>au</strong>x ont placé en face <strong>de</strong> Hitler, <strong>au</strong> lieu du faiblegouvernement <strong>de</strong> Brüning, le gouvernement <strong>au</strong>toritaire <strong>de</strong> von Papen. En août,l'industrie lour<strong>de</strong>, sans tout à fait abandonner Hitler, est venue, elle <strong>au</strong>ssi, seranger <strong>de</strong>rrière von Papen. Dès que Hitler a cessé d'apparaître comme la plusgran<strong>de</strong> force, il a perdu une bonne partie <strong>de</strong> son prestige ; c'est ce qui expliqueson recul le 6 novembre. Mais, vis-à-vis <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> bourgeoisie, cet affaiblissementrapi<strong>de</strong> constitue un moyen <strong>de</strong> chantage qui est une force. Lagran<strong>de</strong> bourgeoisie voudrait se servir <strong>de</strong> Hitler sans lui <strong>livre</strong>r le gouvernement.Mais, si elle continuait à le laisser à l'écart, comme elle a fait d'août àdécembre, le mouvement hitlérien se décomposerait, et elle se trouveraitisolée, coupée <strong>de</strong>s masses, <strong>de</strong>vant la vague grandissante du mécontentementouvrier. En dépit <strong>de</strong> ses mitrailleuses, elle serait sans doute alors perdue, àmoins d'un retour rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> la prospérité industrielle, fort improbable enAllemagne. Il f<strong>au</strong>t d'<strong>au</strong>tant moins espérer une tactique <strong>au</strong>ssi folle, <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>la gran<strong>de</strong> bourgeoisie, que la Deutsche Allgemeine Zeitung, organe <strong>de</strong> l'industrielour<strong>de</strong>, ne cesse, <strong>de</strong>puis le début <strong>de</strong> novembre, <strong>de</strong> mettre en gar<strong>de</strong> contrece péril, et <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r une concentration nationale. Von Schleicher vaessayer d'avoir l'appui plus ou moins avoué, soit <strong>de</strong>s hitlériens seuls, en vued'un bloc national, soit <strong>de</strong>s hitlériens et <strong>de</strong>s syndicats ensemble, en vue d'un
- Page 3 and 4:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 5:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 8 and 9:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 10 and 11:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 15 and 16:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 17 and 18:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 19 and 20:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 21 and 22:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 23 and 24:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 25 and 26:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 27 and 28:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 29 and 30:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 31 and 32:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 33 and 34:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 35 and 36:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 37 and 38:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 39 and 40:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 41 and 42:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 43 and 44:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 45 and 46:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 47 and 48:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 49 and 50:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 51 and 52:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 53 and 54:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 55 and 56:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 57 and 58:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 59 and 60:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 61 and 62:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 63 and 64:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 65 and 66:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 67 and 68:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 69 and 70:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 71 and 72:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 73 and 74: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 75 and 76: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 77 and 78: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 79 and 80: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 81 and 82: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 83 and 84: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 85 and 86: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 87 and 88: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 89 and 90: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 91 and 92: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 93 and 94: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 95 and 96: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 97 and 98: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 99 and 100: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 101 and 102: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 103 and 104: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 105 and 106: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 107 and 108: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 109 and 110: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 111 and 112: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 113 and 114: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 115 and 116: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 117 and 118: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 119 and 120: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 121 and 122: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 123: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 127 and 128: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 129 and 130: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 131 and 132: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 133 and 134: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 135 and 136: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 137 and 138: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 139 and 140: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 141 and 142: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 143 and 144: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 145 and 146: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 147 and 148: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 149 and 150: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 151 and 152: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 153 and 154: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 155 and 156: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 157 and 158: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 159 and 160: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 161 and 162: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 163 and 164: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 165 and 166: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 167 and 168: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 169 and 170: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 171 and 172: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 173 and 174: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 175 and 176:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 177 and 178:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 179 and 180:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 181 and 182:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 183:
Simone Weil, Écrits historiques et