<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 138s'il montrait qu'il est capable, lui, <strong>de</strong> diriger victorieusement le prolétariat dansla voie opposée, celle <strong>de</strong> la lutte. C'est ce qu'il ne peut montrer par <strong>de</strong> simplesparoles ; et, jusqu'ici, il ne l'a pas montré <strong>au</strong>trement. Aussi les formules, sisouvent répétées, concernant la social-démocratie comme « ennemi principal», le « social-fascisme », etc., n'ont-elles pour effet que <strong>de</strong> couper le particommuniste <strong>de</strong>s ouvriers social-démocrates ; et d'<strong>au</strong>tant plus qu'on va jusqu’àappeler la social-fasciste » le petit « parti socialiste, ouvrier », composé enpartie d'ouvriers révolutionnaires, en partie d'éléments réformistes, mais querévoltent les capitulations <strong>de</strong>s social-démocrates. Sur le terrain syndical, ons'obstine à conserver les <strong>de</strong>ux mots d'ordre contradictoires. Quant <strong>au</strong> frontunique, on refuse <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s propositions <strong>au</strong>trement qu'à la base ; et lesmanœuvres <strong>de</strong>s chefs réformistes en sont facilitées d'<strong>au</strong>tant.Avec les hitlériens, <strong>au</strong> contraire, le parti communiste allemand a plusieursfois pratiqué une sorte <strong>de</strong> front unique ; il lui est même arrivé, notammentpendant la grève <strong>de</strong>s transports <strong>de</strong> Berlin, <strong>de</strong> suspendre, en faveur <strong>de</strong>snational-socialistes, ce fameux « droit <strong>de</strong> critique » qu'il refuse, avec raison,<strong>de</strong> sacrifier <strong>au</strong> front unique avec les social-démocrates. Le plus grave, c'estque le front unique entre hitlériens et communistes a paru parfois dirigé contrela social-démocratie et l'a effectivement été en certains cas. Au reste, l'on peutcomprendre que, dans la lutte sociale, et par l'effet <strong>de</strong> la démagogie hitlérienne,le parti national-socialiste et le parti communiste puissent parfoisparaître mener une action à peu près semblable ; mais le parti communisteallemand est allé jusqu'à se mettre à la remorque du mouvement hitlérien surle terrain <strong>de</strong> la propagan<strong>de</strong> nationaliste. Il a accordé une large place, et parfois,notamment en pério<strong>de</strong> électorale, la première place, <strong>au</strong>x revendicationsnationalistes, à la lutte contre le système <strong>de</strong> Versailles, <strong>au</strong> mot d'ordre <strong>de</strong>« libération nationale ». Au moment <strong>de</strong>s élections du 31 juillet, il a accusé lessocial-démocrates <strong>de</strong> trahison, non seulement envers la classe ouvrière, maisenvers le pays (Lan<strong>de</strong>sverräter). Bien plus, il a publié comme brochure <strong>de</strong>propagan<strong>de</strong>, et sans commentaires, le recueil <strong>de</strong>s lettres où l'officierScheringer expliquait qu'il avait abandonné le national-socialisme pour lecommunisme, parce que le communisme, par les perspectives d'alliance militaireavec la Russie qu'il comporte, est plus propre à servir les intérêtsnation<strong>au</strong>x <strong>de</strong> l'Allemagne ; et ce même Scheringer a formé sur cette base ungroupement, <strong>au</strong>quel ont adhéré <strong>de</strong>s gens du meilleur mon<strong>de</strong>, et qui estofficiellement placé sous le contrôle du parti. Il f<strong>au</strong>t remarquer que cetteorientation ne correspond pas du tout <strong>au</strong>x sentiments <strong>de</strong>s ouvriers communistesallemands ; car ils sont sincèrement et profondément internationalistes. <strong>Les</strong>seuls arguments qu'on donne en faveur <strong>de</strong> cette politique, c'est qu'elle procure<strong>de</strong>s voix <strong>au</strong>x élections, et qu'elle facilite le passage <strong>au</strong> communisme <strong>de</strong>souvriers séduits par la démagogie hitlérienne. Au reste elle facilite <strong>au</strong>ssi bienle passage inverse. Et, chez les ouvriers social-démocrates, elle ne provoquequ'indignation et moqueries. Que penser d'un parti révolutionnaire dont leComité Central a dit, dans un appel lancé en vue <strong>de</strong>s élections du 6 novembre: « <strong>Les</strong> chaînes <strong>de</strong> Versailles pèsent <strong>de</strong> plus en plus lour<strong>de</strong>ment sur lesouvriers allemands » ? Ce sont donc les chaînes <strong>de</strong> Versailles que le prolétariatallemand <strong>au</strong>rait à briser, et non les chaînes du capitalisme ? Le ComitéCentral a be<strong>au</strong> ajouter que seule une Allemagne socialiste peut briser leschaînes <strong>de</strong> Versailles, sa formule n'en constitue pas moins une ai<strong>de</strong> précieusepour les démagogues hitlériens, qui cherchent avant tout à persua<strong>de</strong>r <strong>au</strong>xouvriers que leur misère est due <strong>au</strong> traité <strong>de</strong> Versailles, et non pas <strong>au</strong> fait que
<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 139toute la production est subordonnée à la recherche du profit capitaliste. D'unemanière générale, la bourgeoisie <strong>de</strong> chaque pays s'efforce toujours, dans lesmoments <strong>de</strong> crise, <strong>de</strong> tourner le mécontentement <strong>de</strong>s masses ouvrières etpaysannes contre les pays étrangers, évitant ainsi qu'on ne lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à ellemême<strong>de</strong>s comptes. En Allemagne, le parti communiste s'est publiquementassocié à cette manœuvre <strong>au</strong> mépris <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> parole <strong>de</strong> Liebknecht :« L'ennemi principal est chez nous. »En fin <strong>de</strong> compte, le parti communiste allemand reste isolé et livré à sespropres forces, c'est-à-dire à sa propre faiblesse. Bien qu'il ne cesse <strong>de</strong>recruter, le rythme <strong>de</strong> ses progrès ne correspond <strong>au</strong>cunement <strong>au</strong>x conditionsréelles <strong>de</strong> l'action ; il existe une disproportion monstrueuse entre les forcesdont il dispose et les tâches <strong>au</strong>xquelles il ne peut renoncer sans perdre saraison d'être. Cette disproportion est plus frappante encore si l'on tient compte<strong>de</strong> l'apparence <strong>de</strong> force que donnent <strong>au</strong> parti les succès élector<strong>au</strong>x. Leprolétariat allemand n'a en somme pour avant-gar<strong>de</strong> que <strong>de</strong>s hommes à vraidire dévoués et courageux, mais qui sont dépourvus pour la plupart d'expérienceet <strong>de</strong> culture politique, et qui ont été presque tous rejetés hors <strong>de</strong> laproduction, hors du système économique, condamnés à une vie <strong>de</strong> parasites.Un tel parti peut propager <strong>de</strong>s sentiments <strong>de</strong> révolte, non se proposer larévolution comme tâche.Le parti communiste allemand fait ce qu'il peut pour dissimuler cet état <strong>de</strong>choses, <strong>au</strong>ssi bien <strong>au</strong>x adhérents qu'<strong>au</strong>x non-adhérents. À l'égard <strong>de</strong>s adhérents,il use <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s dictatoriales qui, en empêchant la libre discussion,suppriment du même coup toute possibilité d'éducation véritable à l'intérieurdu parti. À l'égard <strong>de</strong>s non-adhérents, le parti essaie <strong>de</strong> cacher l'inaction par lebavardage. Ce n'est pas que le parti reste tout à fait inactif ; il essaie, malgrétout, <strong>de</strong> faire quelque chose dans les entreprises ; il a fait quelques tentativespour organiser les chômeurs ; il dirige <strong>de</strong>s grèves <strong>de</strong> locataires, <strong>au</strong>xquelles iln'arrive pas d'ailleurs à faire dépasser le cadre d'une rue ou d'un fragment <strong>de</strong>quartier ; il lutte contre les terroristes hitlériens. Tout cela ne va pas bien loin.Le parti y supplée par le verbiage, la vantardise, les mots d'ordre lancés à vi<strong>de</strong>.Quand les hitlériens veulent se donner l'apparence d'un parti ouvrier, leurpropagan<strong>de</strong> et celle du parti communiste rend presque le même son. Cetteattitu<strong>de</strong> démagogique du parti communiste ne fait d'ailleurs qu'<strong>au</strong>gmenter ladéfiance <strong>de</strong>s ouvriers <strong>de</strong>s entreprises à son égard. Et d'<strong>au</strong>tre part, par l'organisation<strong>de</strong>s réunions, les paroles rituelles, les gestes rituels, la propagan<strong>de</strong>communiste ressemble <strong>de</strong> plus en plus à une propagan<strong>de</strong> religieuse ; comme sila révolution tendait à <strong>de</strong>venir un mythe, qui <strong>au</strong>rait simplement pour effet,comme les <strong>au</strong>tres mythes, <strong>de</strong> faire supporter une situation intolérable.Be<strong>au</strong>coup <strong>de</strong> camara<strong>de</strong>s seront tentés <strong>de</strong> croire que ce table<strong>au</strong> a été chargéà plaisir ; ils en trouveront pourtant la confirmation <strong>au</strong> moins partielle dans lapresse communiste, notamment dans le n° 19-20 <strong>de</strong> l'Internationale SyndicaleRouge et dans le discours <strong>de</strong> Piatnitsky <strong>au</strong> XII e Plenum du Comité exécutif <strong>de</strong>l'Internationale Communiste. À vrai dire, on pourrait citer quelques faits quisembleraient démentir ce table<strong>au</strong> ; et ces <strong>de</strong>rnières semaines, en particulier, ilsemble y avoir eu <strong>au</strong> moins un léger progrès. Pour permettre à nos camara<strong>de</strong>s<strong>de</strong> juger si, dans l'ensemble, ce table<strong>au</strong> est juste, il f<strong>au</strong>t mettre sous leurs yeuxun exposé <strong>au</strong>ssi objectif que possible <strong>de</strong> la récente histoire du mouvementcommuniste allemand.
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