<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 128corps. Tout cela est organisé <strong>de</strong> manière à exciter l'admiration, et installé dans<strong>de</strong> somptueux bâtiments, où l'on retrouve la même prodigalité presque folleque les capitalistes ont déployée <strong>de</strong> leur côté <strong>au</strong> moment <strong>de</strong> la bonne conjoncture.Il f<strong>au</strong>t reconnaître que le réformisme allemand a merveilleusementaccompli sa tâche, qui consiste à aménager la vie <strong>de</strong>s ouvriers <strong>au</strong>ssi humainementqu'il est possible <strong>de</strong> le faire à l'intérieur du régime capitaliste. Il n'a pasdélivré les ouvriers allemands <strong>de</strong> leurs chaînes, mais il leur a procuré <strong>de</strong>sbiens précieux ; un peu <strong>de</strong> bien-être, un peu <strong>de</strong> loisir, <strong>de</strong>s possibilités <strong>de</strong>culture.Mais les organisations syndicales alleman<strong>de</strong>s n'ont pas seulement dûs'adapter <strong>au</strong>x conditions créées par le régime ; par la force <strong>de</strong>s choses, elles sesont liées <strong>au</strong> régime par <strong>de</strong>s liens qu'elles ne peuvent briser. Elles se sontdéveloppées avec le régime, elles en ont pour ainsi dire épousé les formes ;elles ne peuvent exister qu'à l'intérieur du système capitaliste, et à l'ombre dupouvoir qui est le gardien <strong>de</strong> l'ordre actuel, du pouvoir d'État. Il va <strong>de</strong> soi quepour ces bure<strong>au</strong>x, ces écoles, ces bibliothèques qui s'étalent dans <strong>de</strong> si be<strong>au</strong>xbâtiments, une existence illégale n'est même pas concevable. Quant <strong>au</strong>xcaisses syndicales, leur richesse même les met sous la dépendance <strong>de</strong> l'État,gardien <strong>de</strong>s capit<strong>au</strong>x.« <strong>Les</strong> biens <strong>de</strong>s syndicats », écrit l'organe syndical die Arbeit, « sont, pourla plupart, placés en bons hypothécaires. Pour se procurer <strong>de</strong>s disponibilités,les syndicats sont obligés d'engager ces bons à la Reichsbank, ou <strong>de</strong> lesvendre en Bourse. Le gouvernement peut fermer ces <strong>de</strong>ux voies si les syndicatsdépensent cet argent, non pas pour <strong>de</strong>s secours soci<strong>au</strong>x, mais pourfinancer <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s luttes. »Ainsi les syndicats sont enchaînés à l'appareil d'État par <strong>de</strong>s chaînes d'or ;et par ces mêmes chaînes d'or, qu'ils ont eux-mêmes forgées, les ouvriers sont,à leur tour, enchaînés à l'appareil syndical, et, par cet intermédiaire, àl'appareil d'État. Car l'exclusion, arme fréquemment employée par l'appareilsyndical contre les ouvriers qui voudraient l'orienter vers la lutte contre l'État,constitue une véritable peine ; l'ouvrier exclu perd ses droits à l'assistance <strong>de</strong>ces caisses <strong>de</strong> secours pour lesquelles il a versé <strong>de</strong>s cotisations si lour<strong>de</strong>s.Quant <strong>au</strong>x organisations qui sont liées à la confédération syndicale, ellesadoptent nécessairement, à l'égard <strong>de</strong> l'État, une attitu<strong>de</strong> analogue. C'est le casdu parti social-démocrate. <strong>Les</strong> syndicalistes purs essayent parfois <strong>de</strong> rejeter laresponsabilité <strong>de</strong> la ligne politique suivie par les syndicats allemands sur lasocial-démocratie, dont sont membres tous les militants du mouvementsyndical. Mais, dès avant la guerre, les syndicats allemands étaient bien pluséloignés encore que la social-démocratie d'une attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> combat à l'égard durégime ; et <strong>au</strong>jourd'hui, il en est encore <strong>de</strong> même. Loin que le parti socialdémocratedirige le mouvement syndical, on peut dire qu'il est plutôt l'expressionparlementaire <strong>de</strong>s relations qui existent entre l'appareil syndical etl'appareil d'État ; l'on verra que les événements <strong>de</strong>s 20 et 27 juillet 1932 enfournissent l'exemple. C'est la structure même <strong>de</strong>s syndicats allemands quileur interdit <strong>de</strong> se détacher du système social actuel, sous peine <strong>de</strong> se briser.Vienne une étape <strong>de</strong> l'économie capitaliste ou la formule <strong>de</strong> Marx se trouvevérifiée, où le régime prive les ouvriers <strong>de</strong> tout, s<strong>au</strong>f <strong>de</strong> leurs chaînes, il estimpossible que les syndicats allemands changent <strong>de</strong> <strong>de</strong>stination, et <strong>de</strong>viennent
<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 129<strong>de</strong>s instruments propres à briser le régime ; pas plus qu'une lime ne peut, encas <strong>de</strong> besoin, se transformer en marte<strong>au</strong>.Or, ce moment semble venu. Ou du moins il est incontestable que, pour ladurée <strong>de</strong> la crise, et, d'une manière générale, dans la mesure ou l'économiecapitaliste est <strong>de</strong>stinée, même après la fin <strong>de</strong> la crise actuelle, à <strong>de</strong>meurer,comme la plupart <strong>de</strong>s gens le pensent, dans un état <strong>de</strong> crise latent, la formulecitée plus h<strong>au</strong>t est vérifiée. Et, à mesure que la crise secouait plus durement lerégime capitaliste, les syndicats allemands, loin <strong>de</strong> se détacher du régime, sesont en effet accrochés <strong>de</strong> plus en plus peureusement <strong>au</strong> seul élément <strong>de</strong>stabilité, <strong>au</strong> pouvoir d'État.Il y a plusieurs années déjà que la confédération syndicale alleman<strong>de</strong> aouvertement subordonné son action à l'État en acceptant ce que les Allemandsappellent le « principe <strong>de</strong>s tarifs ». Selon ce principe, tout contrat <strong>de</strong> travail aforce <strong>de</strong> loi, tout conflit est obligatoirement porté <strong>de</strong>vant un tribunal d'arbitragedont la décision a également force <strong>de</strong> loi. Si les ouvriers veulent fairegrève sans que les patrons aient violé les conditions imposées par le contrat <strong>de</strong>travail ou la décision arbitrale, les syndicats, liés par la « Frie<strong>de</strong>nspflicht »(littéralement : <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> paix), doivent s'y opposer, sous peine <strong>de</strong> tomberdans l'illégalité. Bien entendu, l'appareil syndical respecte scrupuleusement la« Frie<strong>de</strong>nspflicht », non seulement en privant <strong>de</strong> secours toutes les grèvesdites s<strong>au</strong>vages, c'est-à-dire non approuvées par le syndicat, mais encore enexcluant, <strong>de</strong> temps en temps, les syndiqués qui y participent. Cette loi <strong>de</strong>starifs, qui <strong>de</strong>vait, disait-on, protéger les ouvriers contre l'arbitraire patronal, a,en fait, servi <strong>de</strong> bouclier <strong>au</strong>x entrepreneurs dans leurs attaques contre lessalaires. Quant <strong>au</strong> parti social-démocrate, on sait comment, <strong>de</strong> son côté, sousle gouvernement Brüning, il a constamment capitulé ; <strong>au</strong> moment du renouvellement<strong>de</strong>s contrats <strong>de</strong> travail, il a laissé Brüning diminuer tous les salairespar décret-loi. Le résultat <strong>de</strong> cette politique, c'est qu'<strong>au</strong> moment où Brüningperdait le pouvoir, les ouvriers <strong>de</strong>s entreprises avaient passé, presque sansrésistance, d'un nive<strong>au</strong> <strong>de</strong> vie assez élevé à une condition misérable.Vint le gouvernement von Papen et le coup d'État du 20 juillet, qui, enchassant brutalement la social-démocratie du gouvernement <strong>de</strong> Prusse, lui ôtace qui lui restait <strong>de</strong> pouvoir politique. On attendait une vigoureuse résistance.En 1920, la social-démocratie alleman<strong>de</strong> avait montré, lors du coup d'État <strong>de</strong>Kapp, combien elle était capable <strong>de</strong> vigueur. En juillet 1932, elle resta inerte.Pourquoi ? Dans <strong>de</strong>s conversations particulières, les militants <strong>de</strong>s syndicatss'en expliquaient ainsi, dévoilant du même coup les rapports véritables entre lasocial-démocratie, les organisations syndicales et l'État : « Le salut <strong>de</strong> nosorganisations, c'est la considération qui prime toutes les <strong>au</strong>tres à nos yeux. Laréaction politique, en elle-même, ne les met <strong>au</strong>cunement en péril. Dans l'étapeprésente <strong>de</strong> son développement, c'est l'économie capitaliste elle-même qui abesoin <strong>de</strong>s syndicats ouvriers. Quant à Hitler, nous ne le craignons pas ; s'iltentait un coup d'État, il trouverait <strong>de</strong>vant lui nous-mêmes d'un côté, etl'appareil gouvernemental <strong>de</strong> l'<strong>au</strong>tre. »La conclusion était que la seule chose à craindre, pour les organisationssyndicales, c'est une lutte entre elles et l'État, lutte ou elles seraient infailliblementbrisées.
- Page 3 and 4:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 5:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 8 and 9:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 10 and 11:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 15 and 16:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 17 and 18:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 19 and 20:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 21 and 22:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 23 and 24:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 25 and 26:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 27 and 28:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 29 and 30:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 31 and 32:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 33 and 34:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 35 and 36:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 37 and 38:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 39 and 40:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 41 and 42:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 43 and 44:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 45 and 46:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 47 and 48:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 49 and 50:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 51 and 52:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 53 and 54:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 55 and 56:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 57 and 58:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 59 and 60:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 61 and 62:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 63 and 64:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 65 and 66:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 67 and 68:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 69 and 70:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 71 and 72:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 73 and 74:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 75 and 76:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 77 and 78: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 79 and 80: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 81 and 82: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 83 and 84: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 85 and 86: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 87 and 88: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 89 and 90: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 91 and 92: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 93 and 94: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 95 and 96: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 97 and 98: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 99 and 100: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 101 and 102: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 103 and 104: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 105 and 106: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 107 and 108: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 109 and 110: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 111 and 112: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 113 and 114: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 115 and 116: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 117 and 118: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 119 and 120: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 121 and 122: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 123 and 124: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 125 and 126: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 127: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 131 and 132: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 133 and 134: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 135 and 136: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 137 and 138: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 139 and 140: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 141 and 142: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 143 and 144: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 145 and 146: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 147 and 148: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 149 and 150: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 151 and 152: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 153 and 154: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 155 and 156: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 157 and 158: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 159 and 160: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 161 and 162: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 163 and 164: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 165 and 166: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 167 and 168: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 169 and 170: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 171 and 172: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 173 and 174: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 175 and 176: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 177 and 178: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 179 and 180:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 181 and 182:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 183:
Simone Weil, Écrits historiques et