<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 78<strong>de</strong> la même manière l'un après l'<strong>au</strong>tre ; et Alamanno et Niccolo, pour ne pasêtre regardés comme étant plutôt courageux que sages, se retirèrent à leur tourquand ils se virent seuls. Le palais restait donc entre les mains <strong>de</strong> la plèbe et<strong>au</strong>ssi <strong>de</strong>s huit <strong>de</strong> la guerre 1 , qui n'avaient pas encore déposé leurs pouvoirs.Au moment où la plèbe entra dans le palais, celui qui tenait en main l'étendarddu gonfalonier <strong>de</strong> justice était un certain Michele di Lando, peigneur <strong>de</strong>laine. Celui-ci, nu-pieds et à peine vêtu, monta l'escalier avec toute la foule ;et quand il fut à la salle d'<strong>au</strong>dience <strong>de</strong>s prieurs, il s'arrêta, se tourna vers lamultitu<strong>de</strong> et dit : « Vous voyez que ce palais est à vous et que la cité est entrevos mains. Que voulez-vous faire à présent ? » À quoi tous répondirent qu'ilfût gonfalonier et seigneur, et les gouvernât, eux et la cité, comme bon luisemblerait. Michele accepta la seigneurie ; et comme c'était un homme sage etpru<strong>de</strong>nt, qui <strong>de</strong>vait plus à la nature qu'à la fortune, il résolut d'apaiser la cité et<strong>de</strong> mettre fin <strong>au</strong>x désordres. Pour occuper le peuple et se donner le temps <strong>de</strong>prendre ses mesures, il donna ordre <strong>de</strong> chercher un certain Nuto, qui avait étédésigné comme chef <strong>de</strong> la police par Lapo da Castiglionchio. La plupart <strong>de</strong>ceux qui l'entouraient allèrent exécuter cet ordre. Et, pour in<strong>au</strong>gurer par unacte <strong>de</strong> justice le pouvoir qu'il avait acquis par la faveur, il fit interdirepubliquement vols et incendies. Pour épouvanter tout le mon<strong>de</strong>, il fit élever ungibet sur la place. Puis, pour commencer la réforme <strong>de</strong> l'État, il <strong>de</strong>stitue lessyndics <strong>de</strong>s arts, en nomme <strong>de</strong> nouve<strong>au</strong>x, prive les prieurs et les collèges <strong>de</strong>leurs charges... Cependant Nuto était porté sur la place par la multitu<strong>de</strong> ; on lepend <strong>au</strong> gibet par un pied ; et chacun <strong>de</strong> ceux qui l'entourent ayant arraché unlambe<strong>au</strong> <strong>de</strong> son corps, il n'en reste bientôt plus que le pied. <strong>Les</strong> huit <strong>de</strong> laguerre, d'<strong>au</strong>tre part, croyant que le départ <strong>de</strong>s prieurs les faisait maîtres <strong>de</strong> lacité, avaient déjà nommé <strong>de</strong> nouve<strong>au</strong>x prieurs. Michele, se doutant <strong>de</strong> lachose, leur fit dire <strong>de</strong> quitter immédiatement le palais, ajoutant qu'il voulaitmontrer à tout le mon<strong>de</strong> qu'il était capable <strong>de</strong> gouverner Florence sans leurconseil. Il fit ensuite réunir les syndics <strong>de</strong>s arts et nomma les prieurs, dont ilprit quatre dans la basse plèbe, <strong>de</strong>ux dans les arts majeurs et <strong>de</strong>ux dans les artsmineurs. Il organisa en outre un nouve<strong>au</strong> scrutin et divisa le pouvoir d'État entrois parts, dont l'une <strong>de</strong>vait échoir <strong>au</strong>x arts nouve<strong>au</strong>x, la secon<strong>de</strong> <strong>au</strong>x artsmineurs, la troisième <strong>au</strong>x arts majeurs. Il accorda à Salvestro <strong>de</strong> Medici lerevenu <strong>de</strong>s boutiques du Vieux-Pont, prit pour lui le po<strong>de</strong>stat d'Empoli et fitbien d'<strong>au</strong>tres faveurs à bien d'<strong>au</strong>tres citoyens amis <strong>de</strong> la plèbe, non pas tantpour les récompenser <strong>de</strong> leurs services que pour s'en faire <strong>de</strong>s défenseurscontre les envieux.Il parut à la plèbe que Michele, en réformant l'État, avait trop bien partagéla h<strong>au</strong>te bourgeoisie ; elle ne pensa pas avoir une part du pouvoir assez gran<strong>de</strong>pour être en mesure <strong>de</strong> la conserver et <strong>de</strong> se défendre ; si bien qu'avec son<strong>au</strong>dace accoutumée elle reprit soudain les armes, <strong>de</strong>scendit en tumulte sur laplace <strong>de</strong>rrière ses étendards et <strong>de</strong>manda que les prieurs se rendissent à la salle<strong>de</strong>s <strong>au</strong>diences pour délibérer à nouve<strong>au</strong> sur les mesures à prendre pour lasécurité et le bien <strong>de</strong> la plèbe. Michele, voyant leur arrogance et ne voulantpas <strong>au</strong>gmenter leur colère, ne fit guère attention à ce qu'ils réclamaient, et,blâmant simplement la manière dont ils présentaient leurs <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s, lesengagea à déposer les armes ; ils obtiendraient en ce cas ce que la dignité <strong>de</strong>s1 Le Conseil <strong>de</strong>s huit <strong>de</strong> la guerre était une organisation dont tous les membres setrouvaient alors être du parti <strong>de</strong> la petite bourgeoisie. (Note <strong>de</strong> S. W.)
<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 79prieurs ne permettait point que l’on accordât à la violence. Cette réponse fitque la multitu<strong>de</strong>, indignée contre le palais, se retira à Santa Maria Novella ; etlà ils nommèrent huit chefs pris parmi les leurs, ainsi que <strong>de</strong>s ministres, etcréèrent encore d'<strong>au</strong>tres dignités qui leur semblaient propres à attirer laconsidération et le respect. Ainsi l'État avait <strong>de</strong>ux sièges et la cité <strong>de</strong>ux gouvernementsdistincts. Ces chefs décidèrent que huit délégués, choisis par lesarts qui participaient <strong>au</strong> mouvement, habiteraient <strong>au</strong> palais avec les prieurs etque toutes les décisions prises par les prieurs <strong>de</strong>vraient être confirmées pareux. Ils enlevèrent à Salvestro <strong>de</strong> Medici et à Michele di Lando tout ce que laplèbe, par ses décisions précé<strong>de</strong>ntes, leur avait accordé. Ils donnèrent à ungrand nombre <strong>de</strong>s leurs <strong>de</strong>s fonctions et <strong>de</strong>s pensions, pour leur permettre <strong>de</strong>soutenir leur rang avec dignité. Une fois ces décisions prises, ils voulurent leurfaire donner force <strong>de</strong> loi, et ils envoyèrent <strong>de</strong>ux d'entre eux <strong>au</strong>x prieurs pourleur <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> faire confirmer ces décisions par les conseils, avec le<strong>de</strong>ssein d'arracher cette confirmation par la force s'ils ne pouvaient l'obtenir <strong>de</strong>bon gré. Ces envoyés remplirent leur mandat en présence <strong>de</strong>s prieurs avec unegran<strong>de</strong> <strong>au</strong>dace et une présomption plus gran<strong>de</strong> encore, en reprochant <strong>au</strong> gonfalonierla dignité que la plèbe lui avait donnée, les honneurs qu'elle lui avaitaccordés, et l'ingratitu<strong>de</strong> et le manque <strong>de</strong> respect dont il faisait preuve à sonégard. Et comme ils en étaient venus, à la fin <strong>de</strong> leur discours, à <strong>de</strong>s menaces,Michele ne put supporter plus longtemps tant d'arrogance ; se souvenant plutôtdu rang qu'il occupait que <strong>de</strong> la bassesse <strong>de</strong> sa condition, il jugea bon <strong>de</strong>réprimer par <strong>de</strong>s moyens extraordinaires une insolence extraordinaire et, tirantl'épée qu'il portait <strong>au</strong> côté, il les blessa grièvement ; après quoi il les fit lier etmettre en prison.Cette action, quand elle fut connue, souleva <strong>de</strong> fureur la multitu<strong>de</strong>. Celleci,croyant qu'elle pourrait conquérir par les armes ce qu'elle n'avait pu obtenirdésarmée, prit les armes avec rage et en tumulte et se mit en marche pourarracher l'assentiment <strong>de</strong>s prieurs <strong>de</strong> vive force. Michele, <strong>de</strong> son côté, se doutantqu'ils allaient arriver, décida <strong>de</strong> les prévenir, pensant qu'il y <strong>au</strong>rait plus <strong>de</strong>gloire pour lui à attaquer le premier qu'à <strong>de</strong>meurer chez lui pour attendrel'ennemi, et se voir ensuite forcé, comme ses prédécesseurs, <strong>de</strong> déshonorer lepalais et <strong>de</strong> se couvrir lui-même <strong>de</strong> honte en prenant la fuite. Il rassembladonc un grand nombre <strong>de</strong> citoyens, à savoir ceux qui avaient déjà commencé àse repentir <strong>de</strong> leur erreur, monta à cheval et, suivi <strong>de</strong> be<strong>au</strong>coup d'hommesarmés, marcha sur Santa Maria Novella pour combattre la plèbe. Celle-ci, quiavait, comme nous l'avons dit, pris une décision semblable, était partie elle<strong>au</strong>ssi, presque <strong>au</strong> même moment que Michele, pour se rendre sur la place. Lehasard fit qu'ils ne prirent pas le même chemin et ne se rencontrèrent pas enroute. Alors Michèle, revenant sur ses pas, trouva la place occupée par laplèbe qui était en traite d'attaquer le palais. Il engagea le combat contre eux,les vainquit, en chassa une partie <strong>de</strong> la ville et contraignit les <strong>au</strong>tres à déposerles armes et à se cacher. Cette victoire fut obtenue, et l'ordre rétabli, par le seulmérite du gonfalonier... S'il avait eu un caractère pervers ou ambitieux, laRépublique <strong>au</strong>rait entièrement perdu la liberté et serait tombée sous unetyrannie pire que celle du duc d'Athènes. Mais la pru<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> Michele, et savertu qui ne laissait venir à son esprit <strong>au</strong>cune pensée qui fût contraire <strong>au</strong> biengénéral, firent qu'il conduisit l'affaire <strong>de</strong> manière à se faire suivre d'un grandnombre <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> son parti et à pouvoir dompter les <strong>au</strong>tres par les armes. Ilinspira ainsi <strong>de</strong> la frayeur à la plèbe et du repentir <strong>au</strong>x meilleurs artisans;
- Page 3 and 4:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 5:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 8 and 9:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 10 and 11:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 15 and 16:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 17 and 18:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 19 and 20:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 21 and 22:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 23 and 24:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 25 and 26:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 27 and 28: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 29 and 30: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 31 and 32: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 33 and 34: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 35 and 36: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 37 and 38: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 39 and 40: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 41 and 42: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 43 and 44: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 45 and 46: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 47 and 48: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 49 and 50: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 51 and 52: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 53 and 54: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 55 and 56: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 57 and 58: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 59 and 60: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 61 and 62: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 63 and 64: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 65 and 66: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 67 and 68: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 69 and 70: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 71 and 72: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 73 and 74: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 75 and 76: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 77: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 81 and 82: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 83 and 84: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 85 and 86: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 87 and 88: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 89 and 90: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 91 and 92: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 93 and 94: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 95 and 96: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 97 and 98: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 99 and 100: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 101 and 102: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 103 and 104: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 105 and 106: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 107 and 108: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 109 and 110: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 111 and 112: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 113 and 114: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 115 and 116: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 117 and 118: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 119 and 120: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 121 and 122: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 123 and 124: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 125 and 126: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 127 and 128: Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 129 and 130:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 131 and 132:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 133 and 134:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 135 and 136:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 137 and 138:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 139 and 140:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 141 and 142:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 143 and 144:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 145 and 146:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 147 and 148:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 149 and 150:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 151 and 152:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 153 and 154:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 155 and 156:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 157 and 158:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 159 and 160:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 161 and 162:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 163 and 164:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 165 and 166:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 167 and 168:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 169 and 170:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 171 and 172:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 173 and 174:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 175 and 176:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 177 and 178:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 179 and 180:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 181 and 182:
Simone Weil, Écrits historiques et
- Page 183:
Simone Weil, Écrits historiques et