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“Histoire” livre de Mme Simone Weil au format PDF - Les Classiques ...

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<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 44Quel objet Hitler et ceux qui acceptent en lui un maître poursuivent-ils ence moment, sinon la gran<strong>de</strong>ur conçue selon le modèle romain ? Comment lepoursuivent-ils, sinon par les métho<strong>de</strong>s que tous les émules <strong>de</strong>s Romainsavaient déjà imitées plus ou moins bien ? Y a-t-il rien <strong>de</strong> plus connu, <strong>de</strong> plusfamilier ? Il ne <strong>de</strong>vrait pas suffire qu'un phénomène familier apparaisseailleurs que chez nous et nous menace pour nous sembler soudain incompréhensible.Il est infiniment triste que notre plus grand poète ait participé àcette abdication <strong>de</strong> l'intelligence en affirmant que nous ne pouvons riencomprendre à l'Allemagne. L'Allemagne est <strong>au</strong>jourd'hui la nation qui comprometcontinuellement la paix et les libertés <strong>de</strong> l'Europe ; la France était dansle même cas en 1815. Elle constituait pour l'Europe la menace principale<strong>de</strong>puis Richelieu, c'est-à-dire <strong>de</strong>puis près <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux siècles, avec un intervalle <strong>de</strong>faiblesse sous Louis XV et Louis XVI. En 1814 et 1815, on détruisitNapoléon ; on ne fit pas <strong>de</strong> mal à la France vaincue ; l'Europe fut en paix pourun <strong>de</strong>mi-siècle. Si l'on veut faire remonter la menace alleman<strong>de</strong> à Frédéric II<strong>de</strong> Prusse, et on ne s<strong>au</strong>rait d'<strong>au</strong>cune manière la faire remonter plus loin, onobtient <strong>au</strong>ssi <strong>de</strong>ux siècles. Au nom <strong>de</strong> quoi pourrait-on soutenir qu'il est plusnécessaire <strong>de</strong> subjuguer l'Allemagne à présent si l'on en triomphe, qu'il n'a éténécessaire <strong>de</strong> subjuguer la France en 1815 ?On dit que l'Allemagne est <strong>de</strong>venue conquérante et menaçante <strong>de</strong>puisqu'elle est <strong>de</strong>venue une nation une et centralisée. Cela est incontestable. Maisil en fut exactement <strong>de</strong> même pour la France ; l'unité française est seulementplus ancienne <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux siècles que l'unité alleman<strong>de</strong>. Tout peuple qui <strong>de</strong>vientune nation en se soumettant à un État centralisé, bure<strong>au</strong>cratique et militaire<strong>de</strong>vient <strong>au</strong>ssitôt et reste longtemps un flé<strong>au</strong> pour ses voisins et pour le mon<strong>de</strong>.Il y a là un phénomène inhérent, non pas <strong>au</strong> sang germanique, mais à lastructure <strong>de</strong> l'État mo<strong>de</strong>rne, semblable à tant d'égards à la structure politiqueélaborée par Rome. Pourquoi il en est ainsi, c'est peut-être difficile à clairementconcevoir ; qu'il en soit ainsi, c'est tout à fait clair. En même temps qu'ilnaît quelque part une nation dominée par un État, il naît un nouve<strong>au</strong> facteurd'agression, et le développement ultérieur <strong>de</strong> la nation reste longtemps agressif.Quelques petits pays européens, formés dans le respect <strong>de</strong>s libertéslocales, ont échappé à cette fatalité, et <strong>au</strong>ssi dans une certaine mesure ungrand pays, l'Angleterre, qui même <strong>au</strong>jourd'hui est loin <strong>de</strong> présenter tous lescaractères <strong>de</strong> l'État mo<strong>de</strong>rne. Mais un phénomène qui ne date pas d'hier<strong>de</strong>vrait inquiéter tous les esprits réfléchis sur le danger que courent à notreépoque non seulement la paix et la liberté, mais toutes les valeurs humainessans exception. Tous les changements accomplis <strong>de</strong>puis trois siècles approchentles hommes d'une situation où il n'y <strong>au</strong>rait absolument plus <strong>au</strong>cunesource d'obéissance dans le mon<strong>de</strong> entier excepté l'<strong>au</strong>torité <strong>de</strong> l'État. Laplupart <strong>de</strong>s hommes en Europe n'obéissent à rien d'<strong>au</strong>tre. L'emprise familialeest faible sur les mineurs, nulle sur les <strong>au</strong>tres ; les <strong>au</strong>torités locales etrégionales, dans la plupart <strong>de</strong>s pays, exercent seulement la part <strong>de</strong> pouvoir quileur est déléguée par l'<strong>au</strong>torité centrale. Dans le domaine <strong>de</strong> la productionl'obéissance n'est pas accordée <strong>au</strong>x chefs, mais leur est vendue pour <strong>de</strong>l'argent ; ainsi leur <strong>au</strong>torité prend sa source non dans une tradition, non dansun consentement mutuel plus ou moins tacite, mais dans un marchandage quiexclut toute dignité et lui ôterait toute efficacité sans la protection <strong>de</strong> l'État.Dans le domaine même <strong>de</strong> l'intelligence, l'État, avec les diplômes qu'ilconfère, est <strong>de</strong>venu presque la seule source d'<strong>au</strong>torité effective.

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