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“Histoire” livre de Mme Simone Weil au format PDF - Les Classiques ...

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<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 32victime d'une coalition, c'est toujours parce qu'il a mal manœuvré. Si l'onmanœuvre bien, on peut presque à son gré obtenir l'inaction ou le secours d'unpays, en lui faisant espérer qu'il échappera ainsi à tout mal et <strong>au</strong>ra part <strong>au</strong>xrayons dorés <strong>de</strong> la victoire ; on peut l'humilier et en même temps l'encouragerà préparer sa vengeance par une apparente torpeur ; on peut le contraindre àune soumission totale et sans combat, ou paralyser l'efficacité <strong>de</strong> ses armes, enfondant sur lui assez soudainement pour lui glacer l'âme <strong>de</strong> stupeur. Cesprocédés peuvent être recommencés presque indéfiniment et toujours réussir,parce que dès qu'une peur diffuse a été suscitée, ce sont les passions et nonl'intelligence qui déterminent l'attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s peuples ; lorsque l'âme est abattuepar la rigueur du <strong>de</strong>stin, c'est le pouvoir <strong>de</strong> prévision qui disparaît le premier.Bien entendu, chaque succès obtenu <strong>au</strong>gmente la capacité <strong>de</strong> manœuvre en<strong>au</strong>gmentant la crainte ; mais <strong>au</strong>ssi, le danger <strong>au</strong>quel on s'exposerait en négligeant<strong>de</strong> manœuvrer ou en manœuvrant mal <strong>au</strong>gmente à mesure, jusqu'<strong>au</strong> jouroù la puissance progressivement acquise possè<strong>de</strong> un prestige si écrasant quenul n'ose plus s'y attaquer et qu'elle s'écroule lentement d'elle-même.On pourrait analyser en détail chaque action <strong>de</strong>s Romains, à partir <strong>de</strong> lavictoire <strong>de</strong> Zama, pour y retrouver l'application <strong>de</strong> cet art. Ils ont su surtout enobserver le point le plus essentiel, la rapidité fulgurante <strong>de</strong> l'attaque. Hitler,dans une conversation, a parfaitement bien formulé à cet égard la règle àsuivre, en disant qu'il ne f<strong>au</strong>t jamais traiter quelqu'un en ennemi jusqu'<strong>au</strong>moment précis où on est en état <strong>de</strong> l'écraser. Cette dissimulation a les plusgran<strong>de</strong>s chances <strong>de</strong> réussir dès qu'on s'est rendu redoutable ; car ceux quicraignent une éventualité espèrent toujours qu'elle ne se produira pas, jusqu'<strong>au</strong>moment où ils ne peuvent plus douter qu'elle s'est produite. Rome a souffertles conquêtes d'Antiochus, les préparatifs <strong>de</strong> guerre <strong>de</strong> Persée, le manqued'ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> Rho<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s Achéens en sa faveur, plus tard la révolte <strong>de</strong>smêmes Achéens, la guerre <strong>de</strong> Carthage contre les Numi<strong>de</strong>s, et <strong>au</strong>tres chosesanalogues, à peu prés sans protestation, jusqu'<strong>au</strong> moment marqué pour fondresur le coupable en vue d'un châtiment impitoyable et immédiat. En chaqueoccasion la victime <strong>de</strong> ce traitement, qu'elle fût forte ou faible, avait l'âmedécomposée par un désarroi qui l'empêchait d'user efficacement d'<strong>au</strong>cunmoyen <strong>de</strong> défense. Mais tout était mis en œuvre pour que les spectateurs <strong>de</strong>telles exécutions ne sentissent <strong>au</strong>cune inquiétu<strong>de</strong> immédiate concernant leurpropre sort. À chaque nouve<strong>au</strong> succès les peuples et les princes s'accoutumaient<strong>de</strong> plus en plus à voir dans les Romains leurs maîtres, et Rome étaitainsi en mesure d'obtenir <strong>de</strong>s victoires diplomatiques <strong>au</strong>ssi brutales que lacontrainte <strong>de</strong>s armes. Témoin ce sénateur qui, arrivant près d'un roi, <strong>au</strong> lieu <strong>de</strong>répondre à son salut, traça un cercle <strong>au</strong>tour <strong>de</strong> lui avec son bâton et luiordonna <strong>de</strong> dire ses intentions concernant les exigences <strong>de</strong> Rome avant <strong>de</strong>sortir du cercle ; le roi s'engagea <strong>au</strong>ssitôt à obéir en tous points. Ne prendraitonpas ce sénateur pour un ministre <strong>de</strong>s Affaires étrangères du TroisièmeReich ?Certes Hitler apparaît comme be<strong>au</strong>coup moins redoutable à ses voisins queRome. C'est heureux, sans quoi nous serions perdus, c'est-à-dire que notrepays serait écrasé, avec d'<strong>au</strong>tres, sous une pax germanica dont nos <strong>de</strong>scendants,dans <strong>de</strong>ux mille ans, célébreraient éperdument les bienfaits. La principalec<strong>au</strong>se <strong>de</strong> faiblesse d'Hitler est qu'il applique les procédés qui ontinfailliblement réussi à Rome après la victoire <strong>de</strong> Zama, alors que lui n'a pasvaincu Carthage, c'est-à-dire l'Angleterre ; ainsi ces procédés peuvent le

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