<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 50<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong> : Écrits historiques et politiques.Première partie : Histoire3Réflexions sur la barbarie(fragments)1939(?)Retour à la table <strong>de</strong>s matièresBien <strong>de</strong>s gens <strong>au</strong>jourd'hui, émus par les horreurs <strong>de</strong> toute espèce que notreépoque apporte avec une profusion accablante pour les tempéraments un peusensibles, croient que, par l'effet d'une trop gran<strong>de</strong> puissance technique, oud'une espèce <strong>de</strong> déca<strong>de</strong>nce morale, ou pour toute <strong>au</strong>tre c<strong>au</strong>se, nous entronsdans une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> plus gran<strong>de</strong> barbarie que les siècles traversés par l'humanité<strong>au</strong> cours <strong>de</strong> son histoire. Il n'en est rien. Il suffit, pour s'en convaincre,d'ouvrir n'importe quel texte antique, la Bible, Homère, César, Plutarque.Dans la Bible, les massacres se chiffrent généralement par dizaines <strong>de</strong>milliers. L'extermination totale, en une journée, sans acception <strong>de</strong> sexe nid'âge, d'une ville <strong>de</strong> quarante mille habitants n'est pas, dans les récits <strong>de</strong> César,quelque chose d'extraordinaire. D'après Plutarque, Marius se promenait dansles rues <strong>de</strong> Rome suivi d'une troupe d'esclaves qui abattaient sur-le-champquiconque le saluait sans qu'il daignât répondre. Sylla, imploré en plein Sénat<strong>de</strong> bien vouloir <strong>au</strong> moins déclarer qui il voulait faire mourir, dit qu'il n'avaitpas tous les noms présents à l'esprit, mais qu'il les publierait, jour par jour, àmesure qu'ils lui viendraient à la mémoire. Aucun <strong>de</strong>s siècles passés
<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 51historiquement connus n'est p<strong>au</strong>vre en événements atroces. La puissance <strong>de</strong>sarmements, à cet égard, est sans importance. Pour les massacres massifs, lasimple épée, même <strong>de</strong> bronze, est un instrument plus efficace que l'avion.La croyance contraire, si commune à la fin du XIX e siècle et jusqu'en1914, c'est-à-dire la croyance en une diminution progressive <strong>de</strong> la barbariedans l'humanité dite civilisée, n'est, me semble-il, pas moins erronée. Etl'illusion en pareille matière est dangereuse, car on ne cherche pas à conjurerce qu'on croit être en voie d'extinction. L'acceptation <strong>de</strong> la guerre, en 1914, aété ainsi rendue bien plus aisée ; on ne croyait pas qu'elle pût être s<strong>au</strong>vage,faite par <strong>de</strong>s hommes que l'on croyait exempts <strong>de</strong> s<strong>au</strong>vagerie. Comme lespersonnes qui répètent sans cesse qu'elles sont trop bonnes sont celles dont ilf<strong>au</strong>t attendre, à l'occasion, la plus froi<strong>de</strong> et la plus tranquille cru<strong>au</strong>té, <strong>de</strong> même,lorsqu'un groupement humain se croit porteur <strong>de</strong> civilisation, cette croyancemême le fera succomber à la première occasion qui pourra se présenter à luid'agir en barbare. À cet égard, rien n'est plus dangereux que la foi en une race,en une nation, en une classe sociale, en un parti. Aujourd'hui, nous ne pouvonsplus avoir dans le progrès la même confiance naïve qu'ont eue nos pères et nosgrands-pères ; mais à la barbarie qui ensanglante le mon<strong>de</strong> nous cherchonstous <strong>de</strong>s c<strong>au</strong>ses hors du milieu où nous vivons, dans <strong>de</strong>s groupements humainsqui nous sont ou que nous affirmons nous être étrangers. Je voudrais proposer<strong>de</strong> considérer la barbarie comme un caractère permanent et universel <strong>de</strong> lanature humaine, qui se développe plus ou moins selon que les circonstanceslui donnent plus ou moins <strong>de</strong> jeu.Une telle vue s'accor<strong>de</strong> parfaitement avec le matérialisme dont lesmarxistes se réclament ; mais elle ne s'accor<strong>de</strong> pas avec le marxisme lui-même,qui, dans sa foi messianique, croit qu'une certaine classe sociale est, parune sorte <strong>de</strong> pré<strong>de</strong>stination, porteuse et unique porteuse <strong>de</strong> civilisation. Il a crutrouver dans la notion <strong>de</strong> classe la clef <strong>de</strong> l'histoire, mais il n'a jamais mêmecommencé à utiliser effectivement cette clef ; <strong>au</strong>ssi bien n'est-elle pas utilisable.Je ne crois pas que l'on puisse former <strong>de</strong>s pensées claires sur lesrapports humains tant qu'on n'<strong>au</strong>ra pas mis <strong>au</strong> centre la notion <strong>de</strong> force,comme la notion <strong>de</strong> rapport est <strong>au</strong> centre <strong>de</strong>s mathématiques. Mais la premièrea besoin, comme en a eu besoin la secon<strong>de</strong>, d'être élucidée. Ce n'est pas aisé.Je proposerais volontiers ce postulat : on est toujours barbare envers lesfaibles. Ou du moins, pour ne pas nier tout pouvoir à la vertu, on pourraitaffirmer que, s<strong>au</strong>f <strong>au</strong> prix d'un effort <strong>de</strong> générosité <strong>au</strong>ssi rare que le génie, onest toujours barbare envers les faibles. Le plus ou moins <strong>de</strong> barbarie diffusedans une société dépendrait ainsi <strong>de</strong> la distribution <strong>de</strong>s forces. Cette vue, si onpouvait l'étudier assez sérieusement pour lui donner un contenu clair, permettrait<strong>au</strong> moins en principe <strong>de</strong> situer toute structure sociale, soit stable, soitpassagère, dans une échelle <strong>de</strong> valeurs, à condition que l'on considère labarbarie comme un mal et son absence comme un bien. Cette restriction estnécessaire ; car il ne manque pas d'hommes qui, soit par une estime exclusiveet aristocratique <strong>de</strong> la culture intellectuelle, soit par ambition, soit par unesorte d'idolâtrie <strong>de</strong> l'Histoire et d'un avenir rêvé, soit parce qu'ils confon<strong>de</strong>nt lafermeté d'âme avec l'insensibilité, soit, enfin, qu'ils manquent d'imagination,s'accommo<strong>de</strong>nt fort bien <strong>de</strong> la barbarie et la considèrent ou comme un détailindifférent ou comme un instrument utile. Ce n'est pas là mon cas ; ce n'estpas non plus, je suppose, le cas <strong>de</strong> ceux qui lisent cette revue.
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