<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 112tout <strong>au</strong> souci <strong>de</strong> conserver sa mainmise sur le mouvement révolutionnaireallemand.*Ainsi, les trois partis qui attirent les ouvriers allemands en déployant ledrape<strong>au</strong> du socialisme sont entre les mains, l'un, du grand capital, qui a pourseul but d'arrêter, <strong>au</strong> besoin par une extermination systématique, le mouvementrévolutionnaire ; l'<strong>au</strong>tre, avec les syndicats qui l'entourent, <strong>de</strong> bure<strong>au</strong>cratesétroitement liés à l'appareil d'État <strong>de</strong> la classe possédante ; le troisième,d'une bure<strong>au</strong>cratie d'État étrangère, qui défend ses intérêts <strong>de</strong> caste et sesintérêts nation<strong>au</strong>x. Devant les périls qui la menacent, la classe ouvrièrealleman<strong>de</strong> se trouve les mains nues. Ou plutôt, on est tenté <strong>de</strong> se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s'ilne v<strong>au</strong>drait pas mieux pour elle se trouver les mains nues ; les instrumentsqu'elle croit saisir sont maniés par d'<strong>au</strong>tres, dont les intérêts sont ou contraires,ou tout <strong>au</strong> moins étrangers <strong>au</strong>x siens.Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que la lutte entre les fractions <strong>de</strong>la bourgeoisie occupe le premier plan dans la politique intérieure alleman<strong>de</strong>.L'extrême obscurité que présentent ces luttes, vient <strong>de</strong> la complexité <strong>de</strong>srapports entre le parti national-socialiste et la bourgeoise. Quand le grandcapital groupe sous son contrôle les révoltés inconscients pour les poussercontre les révolutionnaires, il peut avoir pour objet soit d'exterminer ceux-ci,soit, simplement, <strong>de</strong> les paralyser. On pouvait ainsi, fin juillet, déterminer<strong>de</strong>ux perspectives.L'une était celle d'un gouvernement fasciste. C'est là, pour la bourgeoisie,la <strong>de</strong>rnière ressource ; l'avènement <strong>au</strong> pouvoir <strong>de</strong>s ban<strong>de</strong>s hitlériennes présentele double danger <strong>de</strong> dresser côte à côte les ouvriers social-démocrates etcommunistes, et <strong>de</strong> lancer dans l'action à main armée les ouvriers hitlériens,qui prennent <strong>au</strong> sérieux la propagan<strong>de</strong> démagogique <strong>de</strong> leur parti. Le fascismene peut être nécessaire à la bourgeoisie alleman<strong>de</strong> qu'<strong>au</strong> cas où les ouvriers,malgré l'absence d'organisations qui leur appartiennent réellement, menaceraient<strong>de</strong> l'empêcher <strong>de</strong> réaliser les mesures économiques qu'elle juge êtred'importance vitale dans la crise présente. Il lui f<strong>au</strong>drait alors engager lecombat suprême.L'<strong>au</strong>tre perspective était celle d'un « gouvernement prési<strong>de</strong>ntiel », commeon dit en Allemagne, appuyé sur une union nationale s'étendant <strong>de</strong>s hitlériens<strong>au</strong>x social-démocrates. Une telle union est possible sur la base du capitalismed'État. En opposition avec la théorie communiste, les social-démocrates et leshitlériens s'accor<strong>de</strong>nt pour affirmer que la première étape vers le socialismeest la nationalisation <strong>de</strong>s banques et <strong>de</strong>s industries-clefs, sans trans<strong>format</strong>ion<strong>de</strong> l'appareil d'État ni organisation du contrôle ouvrier. Or la crise actuelleamène les capitalistes, non certes à accepter un tel programme, mais à chercherà se servir <strong>de</strong> l'appareil d'État en en faisant jusqu'à un certain point, d'unemanière encore obscure pour eux-mêmes, un rouage <strong>de</strong> l'économie. Dans tousles pays, <strong>de</strong>s économistes bourgeois ont écrit dans ce sens. En Allemagne, où,plus qu'en <strong>au</strong>cun <strong>au</strong>tre pays, les gouvernements sont intervenus dans la vieéconomique, sans en excepter von Papen qui se dit le défenseur <strong>de</strong> l'économie
<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 113libérale, cette tendance a trouvé son expression économique la plus achevéedans la revue Tat. La revue Tat est l'organe <strong>de</strong>s jeunes économistes brillants,représentants du capital financier, qui voient les éléments du régime à venirdans les syndicats et le parti national-socialiste. <strong>Les</strong> social-démocrates necachent pas qu'ils considèrent tout accroissement du pouvoir économique <strong>de</strong>l'État comme « un morce<strong>au</strong> <strong>de</strong> socialisme », et qu'ils sont prêts, pour réaliserce qu'ils nomment le socialisme, à accepter le concours <strong>de</strong>s hitlériens euxmêmes.La bourgeoisie semble avoir ainsi un moyen d'établir une sorte <strong>de</strong>régime fasciste sans massacres ni <strong>de</strong>struction <strong>de</strong>s organisations syndicales, qui<strong>de</strong>viendraient simplement une pièce <strong>de</strong> l'appareil d'État.Aucune <strong>de</strong> ces perspectives ne s'est réalisée. Hitler n'a pas le pouvoir.L'industrie lour<strong>de</strong>, qui le soutenait contre von Papen, l'homme <strong>de</strong>s hobere<strong>au</strong>x,l'a jusqu'à un certain point abandonné ; elle a diminué les subventions qu'ellelui accor<strong>de</strong> ; elle a mis son organe, la Deutsche Allgemeine Zeitung, <strong>au</strong> servicedu gouvernement ; elle est intervenue <strong>au</strong>près <strong>de</strong> Hin<strong>de</strong>nburg pour l'empêcher<strong>de</strong> donner le pouvoir à Hitler.D'<strong>au</strong>tre part, si l'Allemagne a toujours un « gouvernement prési<strong>de</strong>ntiel » ,ce gouvernement est bien loin <strong>de</strong> s'appuyer sur une coalition nationale ; <strong>au</strong>contraire, la gran<strong>de</strong> bourgeoisie exceptée, il a toute la nation contre lui. VonPapen a fait comme si le parti hitlérien était un régiment <strong>de</strong> soldats <strong>de</strong> plombqu'on peut à volonté sortir et remettre dans sa boîte ; mais, malheureusementpour la gran<strong>de</strong> bourgeoisie alleman<strong>de</strong>, les hitlériens ne sont pas <strong>de</strong>s soldats <strong>de</strong>plomb ; ce sont <strong>de</strong>s hommes révoltés et désespérés. <strong>Les</strong> ouvriers socialdémocrates,eux <strong>au</strong>ssi, ne peuvent être entraînés <strong>au</strong>-<strong>de</strong>là d'une certaine limite.Aussi assiste-t-on, en ce moment, à ce spectacle étrange d'un gouvernementqui reste <strong>au</strong> pouvoir malgré l'opposition violente <strong>de</strong>s trois seuls partis <strong>de</strong>masse, lesquels, tous trois, hitlérien et social-démocrate <strong>au</strong>ssi bien que communiste,soutiennent la vague <strong>de</strong> grèves que von Papen vient <strong>de</strong> décréterillégale. Bien que ces grèves soient <strong>de</strong> petite envergure, les organisationssyndicales, si attachées à la légalité, avouent naïvement que la pression <strong>de</strong>smasses les empêche <strong>de</strong> s'incliner <strong>de</strong>vant ce décret.Cette situation, exceptionnellement favorable pour les ouvriers révolutionnaires,s'ils sont capables d'en profiter, ne peut pas durer longtemps. L'alternativequi se posait <strong>au</strong> début d'août se pose encore. Le mouvement hitlérien aperdu, il est vrai, une bonne part <strong>de</strong> son prestige en cessant d'apparaîtrecomme la force suprême ; mais il pourrait la regagner s'il avait <strong>de</strong> nouve<strong>au</strong> legrand capital <strong>de</strong>rrière lui. Si le tournant annoncé par von Papen dans laconjoncture économique ne se produit pas, si la masse grandissante <strong>de</strong>s chômeurscontinue à menacer la bourgeoisie d'une sorte <strong>de</strong> jacquerie, si lesnégociations avec la France n'apportent pas <strong>de</strong> satisfaction sérieuse <strong>au</strong>x petitsbourgeois nationalistes, la gran<strong>de</strong> bourgeoisie se verra sans doute forcéed'avoir <strong>de</strong> nouve<strong>au</strong> recours à Hitler. Or, Hitler signifie le massacre organisé, lasuppression <strong>de</strong> toute liberté et <strong>de</strong> toute culture.Il y a encore un élément inconnu, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> la conjoncture économiqueet <strong>de</strong> la diplomatie ; c'est l'attitu<strong>de</strong> que prendront les ouvriers allemands.Quand on considère abstraitement l'histoire <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières années, on est tenté<strong>de</strong> croire que la classe ouvrière alleman<strong>de</strong>, qui a subi passivement toutes lesdéfaites, n'a plus <strong>au</strong>cune ressource en elle-même. Mais il est impossible <strong>de</strong>
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