<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 122fait ; une continuelle conscience du poids dont pèse sur eux, <strong>de</strong> manière àécraser toutes leurs aspirations, ce vieux régime qu'ils n'ont pas accepté. Lefait que le régime, en cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> crise, les prive complètement <strong>de</strong> cesperspectives d'avenir qui sont le privilège naturel <strong>de</strong> la jeunesse rend, parcontraste, plus aiguë la conscience qu'ils ont <strong>de</strong> renfermer en eux un avenir. Etils renferment en eux un avenir. Si notre régime en décomposition contient<strong>de</strong>s hommes capables <strong>de</strong> nous donner quelque chose <strong>de</strong> nouve<strong>au</strong>, c'est cettegénération <strong>de</strong> jeunes ouvriers allemands. À condition toutefois que les ban<strong>de</strong>sfascistes, ou plus simplement le froid et la faim, ne leur ôtent pas soit la vie,soit du moins cette énergie qui est le ressort <strong>de</strong> la vie.Nous ne sommes, nous ne pouvons guère être que spectateurs dans cedrame. Portons-y du moins l'attention qu'il mérite. Et tout d'abord faisons lebilan <strong>de</strong> la situation, établissons le rapport <strong>de</strong>s forces.(L'École émancipée, 23 e année, n° 10, 4 décembre 1932.)IIRetour à la table <strong>de</strong>s matièresLe 6 novembre, alors que la gran<strong>de</strong> bourgeoisie massait toutes ses forces<strong>de</strong>rrière le gouvernement von Papen, 70 % <strong>de</strong>s votants se sont prononcés pourles mots d'ordre : « Contre le gouvernement <strong>de</strong>s barons ! Contre les exploiteurs! Vers le socialisme ! » Et la gran<strong>de</strong> bourgeoisie continue à régner surl'Allemagne. Pourtant, sept dixièmes <strong>de</strong> la population, c'est une force pour lesocialisme ! Mais ces sept dixièmes se partagent entre trois partis.LE MOUVEMENT HITLÉRIENDe ces trois partis, le plus fort <strong>de</strong> be<strong>au</strong>coup est le parti national-socialiste.Bien que, du 31 juillet <strong>au</strong> 6 novembre, il ait perdu <strong>de</strong>s voix, il groupait encore<strong>de</strong>rrière lui, à cette <strong>de</strong>rnière date, le tiers <strong>de</strong>s votants. Le caractère fondamentaldu mouvement national-socialiste, et qui le rend presque incompréhensiblepour un Français, c'est l'incohérence ; une incohérence inouïe, qui n'est qu'unreflet <strong>de</strong> l'incohérence essentielle <strong>au</strong> peuple allemand dans sa situationprésente. Incohérence, d'abord, dans la composition sociale du mouvement.Toute crise grave soulève, dans toutes les couches d'une population, les plush<strong>au</strong>tes exceptées, <strong>de</strong>s masses en révolte ; parmi ces masses, il se trouve <strong>de</strong>shommes qui sont capables d'être les artisans conscients et responsables d'unrégime nouve<strong>au</strong>. Mais il y a, en plus grand nombre, <strong>de</strong>s hommes inconscientset irresponsables, qui ne savent que désirer aveuglément la fin du régime quiles écrase. Groupés <strong>de</strong>rrière les premiers, ils constituent une force révolutionnaire; mais si un homme arrive, comme c'est le cas pour Hitler, à en grouper à
<strong>Simone</strong> <strong>Weil</strong>, Écrits historiques et politiques. 1. Première partie : Histoire 123part la plus gran<strong>de</strong> partie, ils tombent nécessairement sous le contrôle dugrand capital, <strong>au</strong> service duquel ils forment <strong>de</strong>s ban<strong>de</strong>s armées pour la pireréaction, pour la dictature, pour les pogroms. Telle étant la nature dumouvement hitlérien, il groupe ceux qui sentent le poids du régime sans pouvoircompter sur eux-mêmes pour le transformer ; la plupart <strong>de</strong>s intellectuels,<strong>de</strong> larges masses dans la petite bourgeoisie <strong>de</strong> la ville et <strong>de</strong>s champs, presquetous les ouvriers agricoles ; enfin un certain nombre d'ouvriers <strong>de</strong>s villes,presque tous chômeurs. Parmi ces <strong>de</strong>rniers, qui sont <strong>au</strong> moins en partie dansles troupes d'ass<strong>au</strong>ts en qualité <strong>de</strong> simples mercenaires, on trouve be<strong>au</strong>coupd'adolescents <strong>de</strong> quinze à dix-huit ans, qui appartiennent à peine à la classeouvrière ; car ils ont trouvé la crise <strong>au</strong> sortir <strong>de</strong> l'école, et, pour eux, il n'ajamais été même question <strong>de</strong> travailler. Si on ajoute <strong>de</strong> grands bourgeois, laplupart dans la coulisse, mais quelques-uns membres du parti, et un ou <strong>de</strong>uxprinces, on <strong>au</strong>ra un table<strong>au</strong> complet du mouvement hitlérien.La propagan<strong>de</strong> n'est pas moins incohérente. On attire les jeunes garçonsromanesques, par <strong>de</strong>s perspectives <strong>de</strong> luttes héroïques, <strong>de</strong> dévouement, et lesbrutes par la promesse implicite qu'ils pourront un jour frapper et massacrer àtort et à travers. On promet <strong>au</strong>x campagnes <strong>de</strong> h<strong>au</strong>ts prix <strong>de</strong> vente, <strong>au</strong>x villesla vie à bon marché. Mais l'incohérence <strong>de</strong> la politique hitlérienne apparaîtsurtout dans les rapports entre le parti national-socialiste et les <strong>au</strong>tres partis.Le parti avec lequel les hitlériens ont un lien essentiel, c'est le parti nationalallemand,celui <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> bourgeoisie, celui qui soutient les « barons »;comme les « barons » , les hitlériens ont pour but fondamental la lutte à mortcontre le mouvement communiste, l'écrasement <strong>de</strong> toute résistance ouvrière ;ils se proclament défenseurs <strong>de</strong> la propriété privée, <strong>de</strong> la famille, <strong>de</strong> lareligion, et adversaires irréductibles <strong>de</strong> la lutte <strong>de</strong>s classes. Mais ils se trouventséparés <strong>de</strong>s partis <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> bourgeoisie par la composition sociale dumouvement, par la démagogie qui en résulte, et par les ambitions personnelles<strong>de</strong>s chefs. Et, d'<strong>au</strong>tre part, il se trouve, si surprenant que cela puisse sembler,entre le mouvement hitlérien et le mouvement communiste, <strong>de</strong>s ressemblancessi frappantes qu'après les élections la presse hitlérienne a dû consacrer un longarticle à démentir le bruit <strong>de</strong> pourparlers entre hitlériens et communistes envue d'un gouvernement <strong>de</strong> coalition. C'est que, du mois d'août <strong>au</strong> 6 novembre,les mots d'ordre <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux partis ont été presque i<strong>de</strong>ntiques. <strong>Les</strong> hitlériens, eux<strong>au</strong>ssi, déclament contre l'exploitation, les bas salaires, la misère <strong>de</strong>s chômeurs.Leur mot d'ordre principal, c'est « contre le système » ; la trans<strong>format</strong>ion dusystème, eux <strong>au</strong>ssi l'appellent révolution ; le système à venir, eux <strong>au</strong>ssil'appellent socialisme. Bien que le parti hitlérien nie la lutte <strong>de</strong>s classes, etqu'il emploie souvent ses troupes d'ass<strong>au</strong>t à briser les grèves, il peut fort bien<strong>au</strong>ssi, comme on l'a vu lors <strong>de</strong> la grève <strong>de</strong>s transports <strong>de</strong> Berlin, publier, enfaveur d'une grève, <strong>de</strong>s articles <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière violence, lancer <strong>de</strong>s mots d'ordreimpliquant une lutte acharnée <strong>de</strong>s classes, traiter les réformistes <strong>de</strong> traîtres.Quant <strong>au</strong>x social-démocrates, que les hitlériens accusent <strong>de</strong> trahir à la foisl'Allemagne, comme internationalistes, et le prolétariat, comme réformistes, ily a entre eux et le national-socialisme un point commun, qui est d'importance; c'est le programme économique. Pour le parti national-socialiste commepour la social-démocratie, le socialisme n'est que la direction d'une partie plusou moins considérable <strong>de</strong> l'économie par l'État, sans trans<strong>format</strong>ion préalable<strong>de</strong> l'appareil d'État, sans organisation d'un contrôle ouvrier effectif ; c'est, parsuite, un simple capitalisme d'État. Sur cette commun<strong>au</strong>té <strong>de</strong> vues se fon<strong>de</strong>une tendance vers un gouvernement qui se transformerait, d'une manière
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