africa - Institut National du Patrimoine
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Africa XIII/La conservation de l'héritage culturel: pourquoi, comment ? Naceur BAKLOUTI<br />
La médina de Sfax n'a jamais cessé d'être le coeur palpitant de la ville. C'est<br />
l'espace privilégié d'un artisanat en évolution (celui de la chaussure notamment), d'un<br />
commerce des plus florissants et de prestations de menus et divers services aussi<br />
efficaces qu'à bon marché. Contrairement à d'autres villes, ici on ne peut parler de<br />
<strong>du</strong>alité entre le noyau traditionnel et la ville moderne ou d'une quelconque<br />
prépondérance de l'un sur l'autre. Les deux pôles sont dans un rapport de<br />
complémentarité, car la ville nouvelle abrite le quartier administratif et les activités <strong>du</strong><br />
secteur tertiaire, alors que la médina se réserve l'économie (artisanat et commerce).<br />
Nous ramenons cette vitalité à la conjugaison d'au moins deux facteurs : d'une part, en<br />
matière d'économie une aptitude endogène à l'adaptation et à l'intégration, et d'autre part<br />
un emplacement de choix situé entre la ville nouvelle et l'immense zone résidentielle, ce<br />
qui fait de la médina un espace de passage piéton privilégié et presque obligatoire.<br />
Cependant, une telle vigueur n'est pas sans provoquer une rupture de l'équilibre<br />
urbanistique traditionnel intra-muros, marquée par un changement fonctionnel à la<br />
faveur <strong>du</strong>quel l'économie a pris le pas sur les autres fonctions de la cité, ce qui a<br />
entraîné l'encombrement de la voierie, ren<strong>du</strong> difficile les prestations municipales, et<br />
provoqué un dépeuplement nocturne. Mais le fait le plus saillant, c'est un phénomène<br />
particulier que certains appellent "soukalisation". Désertées par leurs occupants<br />
traditionnels qui préfèrent désormais habiter les nouvelles zones résidentielles, les<br />
maisons sont converties-celles situées non loin des axes de passage en souks, et celles<br />
moins bien loties-en ateliers d'artisanat. Dans les deux cas, le changement de fonction a<br />
entraîné des transformations architecturales le plus souvent dénaturantes, faisant perdre<br />
au bâti son cachet traditionnel et en même temps sa fonction première, alors qu'on sait<br />
que la fonction d'habitation est essentielle à la vitalité des noyaux historiques, si bien<br />
qu'au lieu de faire de la conservation et de la réhabilitation, on en arrive à faire de la<br />
rénovation totale.<br />
Faut-il applaudir à ce genre de mutation qui a tout de même permis à la médina<br />
de Sfax de s'adapter à l'évolution économique et de survivre ? Est-ce là la rançon de la<br />
survie ? C'est qu'on peut envisager avec plus ou moins de bonheur des solutions aux<br />
problèmes de dégradation et de marginalisation, mais on demeure pour ainsi dire<br />
désemparé quand il s'agit de maîtriser le sur-développement surtout quand il entraîne<br />
une rupture d'équilibre fonctionnel. Toujours est-il qu'en l'absence (provisoire) d'une<br />
législation de protection fondée sur le zonage, le dynamisme de la médina de Sfax en<br />
tant qu'entité urbaine à caractère historique est anarchique, nonobstant les efforts<br />
fournis par les structures de sauvegarde existantes comme l'Association de Sauvegarde<br />
de la Médina et l'Inspection Régionale de l'<strong>Institut</strong> <strong>National</strong> <strong>du</strong> <strong>Patrimoine</strong>.<br />
La conservation et l'intégration de l'héritage culturel supposent l'existence d'une<br />
organisation institutionnelle qui permet à toutes les parties concernées d'unir leurs<br />
efforts et de coordonner leurs interventions en s'appuyant sur des instruments<br />
juridiques courageux. Jusqu'à une époque récente, le rapport <strong>du</strong> waqf ou habous ,<br />
constitué de biens de main morte, permettait d'entretenir les monuments des grandes<br />
villes. C'est en partie grâce à cette institution que nous devons la conservation des<br />
remparts et des grandes mosquées. Aujourd'hui, des organismes modernes tentent de la<br />
remplacer. Nous avons déjà cité les A.S.M. qui ont été fondées dans les villes à noyau<br />
traditionnel, et l'I.N.P. qui sera un très proche avenir doté de représentations régionales<br />
et d'un nouveau code <strong>du</strong> patrimoine(*). Mais au delà des structures, ce qui est<br />
déterminant, c'est la prise de conscience par tous et la conviction que l'héritage culturel<br />
est porteur d'un potentiel de renouvellement et qu'il mérite pour cela d'être sauvegardé.<br />
En même temps, la démarche de conservation met en cause les nouveaux<br />
modèles d'urbanisation que nos villes ont adoptés, mais qui ont dévoilé leurs<br />
défaillances et trahi leur incapacité à définir la nature des réponses qu'ils doivent donner<br />
(*) Cela est déjà fait.<br />
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