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le sourire immobile pdf - Vincent-Paul Toccoli a-nous-dieu-toccoli

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SONGGWANG SA, 30 MARS 1998.<br />

Horrib<strong>le</strong> fatigue, ce matin. Hier soir, je me suis couché dès vingt heures après avoir célébré la messe,<br />

avec accompagnements de sutras que <strong>le</strong>s moines des cuisines chantaient en plus dans <strong>le</strong>ur cellu<strong>le</strong><br />

dortoir qui jouxte la mienne: je n‘ai pas pu m’empêcher de me voir en Zénon (la fiction) ou en<br />

Giordano Bruno (la réalité), emprisonnés l’un à Gand, l’autre à Rome. J’ai dormi d’un trait sur <strong>le</strong> sol<br />

surchauffé, A trois heures, quand <strong>le</strong> moine excitateur a retenti dans la nuit, mon premier mouvement a<br />

été de renoncer à l’office de nuit, et à rester au “lit”. Et puis, <strong>le</strong> sentiment du devoir (quel devoir, mon<br />

Dieu!), <strong>le</strong> remords et la mauvaise conscience plutôt m’ont littéra<strong>le</strong>ment arraché de ma cellu<strong>le</strong>: besoins,<br />

eau sur la figure, lavage des dents. Et me voici sur <strong>le</strong> chemin du Grand Hall, dans l’air très roide, ce<br />

matin. Dès <strong>le</strong>s premières minutes, ce fut la torture: je ne tins la position assise que deux fois un quart<br />

d’heure, restant debout <strong>le</strong> reste du temps. Et avec la sensation d’une chape de plomb sur <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s<br />

(comme dit <strong>le</strong> cliché, mais cette fois, ce n’est pas un cliché!). Je me suis éclipsé dans <strong>le</strong> mouvement<br />

des premiers moines se retirant pour rejoindre <strong>le</strong>urs offices, et sans vergogne aucune, j’ai retrouvé ma<br />

couche, en essayant au préalab<strong>le</strong>, de méditer sur <strong>le</strong> dos. Bien vite je me suis rendormi, pesamment,<br />

pour deux autres de mes cyc<strong>le</strong>s de sommeil (qui sont d’une heure trente). Réveillé en sursaut (un bruit,<br />

mon horloge intérieure?), j’éprouvai du dégoût à la perspective de ce qui m’attendait au réfectoire. Je<br />

ne voulais physiquement pas me <strong>le</strong>ver. Cette fois, c’est mon instinct de solidarité avec <strong>le</strong>s moines de la<br />

cuisine qui m’a convaincu: en effet, je suis censé <strong>le</strong>s aider à la vaissel<strong>le</strong>. Je pris seu<strong>le</strong>ment un peu de<br />

riz blanc, que j’eus la ma<strong>le</strong>ncontreuse idée d’assaisonner de soja qui se révéla trop salé, et un grand<br />

bol de thé insipide, mais chaud. Je descendis à la vaissel<strong>le</strong>, et me mis au travail…<br />

Ces peup<strong>le</strong>s vivent véritab<strong>le</strong>ment par terre, à la hauteur du sol. Il y avait bien quelques minuscu<strong>le</strong>s<br />

tabourets de plastic, juste à l’”altitude” de quatre vastes cuvettes pour <strong>le</strong>s savonnages et <strong>le</strong>s rinçages,<br />

mais si bas que j’eusse encore été plus mal, si je m’y étais assis, et surtout incapab<strong>le</strong> d’attraper la<br />

moindre assiette ou <strong>le</strong> moindre bol (sans compter <strong>le</strong> risque de tomber à la renverse, vu l’exiguïté des<br />

sièges!)…Néanmoins, en me penchant, j’arrivais parfaitement à abattre l’ouvrage, <strong>le</strong> seul problème<br />

étant, pour moi, que la tâche était deux fois plus fatigante. Le moine en charge du réfectoire me prit en<br />

pitié, et dans un anglais parfaitement correct, m’invita à monter de nouveau au réfectoire, justement,<br />

où l’une des tab<strong>le</strong>s avait été recouverte d’une toi<strong>le</strong> de plastic et sur laquel<strong>le</strong> il me confia la tâche de<br />

disposer toute la vaissel<strong>le</strong> lavée en bas, pour la faire sécher. Et dans un beau <strong>sourire</strong>, il conclut:” This<br />

will be easier for you, Father <strong>Vincent</strong>… Is it correct to call you so? – Call me <strong>Vincent</strong>, it will be all<br />

right! What’s your name? – Call me John! – P<strong>le</strong>ased to meet you, John! – P<strong>le</strong>ased to meet you,<br />

<strong>Vincent</strong>! » John devait venir vers dix heures m’annoncer, me dit-il tout confus, deux “diffici<strong>le</strong>s<br />

nouvel<strong>le</strong>s”: la première venant du chef de cuisine, <strong>le</strong> Proctor, qui veut me faire “travail<strong>le</strong>r” et non plus<br />

seu<strong>le</strong>ment aider (ce à quoi <strong>le</strong>s hôtes sont invités), mais John se fait fort de <strong>le</strong> prendre sur lui, de ne<br />

m’appe<strong>le</strong>r que pour “aider”, comme c’est la coutume. La seconde “diffici<strong>le</strong> nouvel<strong>le</strong>”, c’est que ma<br />

cellu<strong>le</strong> d’hôte est “aussi” prévue pour abriter <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s qui viennent pour un service funèbre, et il y<br />

en avait deux aujourd’hui! Il fallait donc que je m’éloigne de mon lieu de dix heures à quinze heures:<br />

tout simp<strong>le</strong>ment. John était désolé. J’ai pris la chose à la bonne… Et je viens juste de rentrer de quatre<br />

méditations, “forcées” en quelque sorte: deux près du ruisseau, deux dans <strong>le</strong> Grand Hall.<br />

Le Proctor est revenu à la charge à seize heures. En gardant mon calme, mais avec une grande fermeté<br />

dans la voix, je lui ai répété que je suis un hôte, etc.…etc.…L’aura-t-il enfin compris? A suivre!<br />

Un mal de crâne s’est ajouté à ma grande fatigue physique et aux dou<strong>le</strong>urs des articulations. Je<br />

continue mes exercices, mais ils sont sans cesse entrecoupés, car la position est insoutenab<strong>le</strong>. Je<br />

persévère. Je n’ai jamais connu ce type de situation, pas même à l’armée: dépossédé de lieu, d’intimité<br />

et d’autonomie, je “vis” depuis trois jours sur six mètres carrés ( surchauffés), que je partage avec<br />

deux autres, mais pas abandonné, grâce à Michael et à John.<br />

SONGGWANG SA, 31 MARS 1998.<br />

Hier soir, j’ai assisté seu<strong>le</strong>ment au lancement de l’office de nuit, et puis je suis rentré dans mon antre,<br />

célébrer la messe. Le calme <strong>le</strong> plus grand s’établit dans <strong>le</strong> monastère, quand toute la communauté des<br />

moines se rassemb<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> grand hall, encore qu’hier soir traînât un groupe de dames, venues dès <strong>le</strong><br />

matin s’agiter autour des réserves de kimchi, stockées à quelques dix mètres de ma cellu<strong>le</strong>. Dès vingt<br />

heures, j’avais éteint la lumière; j’ai bien entendu mon jeune compagnon de cellu<strong>le</strong> entrer une heure<br />

plus tard, mais je me suis rendormi presque aussitôt, après avoir pris mes deux cachets quotidiens pour

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