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le sourire immobile pdf - Vincent-Paul Toccoli a-nous-dieu-toccoli

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déjà à haute voix! Je me suis donc <strong>le</strong>vé à sept heures… Il ne fait pas beau, c’est dommage! Le so<strong>le</strong>il<br />

d’hier était trop fort, il a dû s’épuiser. Il tombe de petites giboulées frisquettes sous un ciel gris, mais<br />

la température demeure agréab<strong>le</strong>. En fait, seu<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s cou<strong>le</strong>urs en souffrent: cela fera des photos ternes.<br />

Je me sens serein, détendu, mais ni heureux ni malheureux. Neutre n’est pas juste non plus. En tout cas<br />

disponib<strong>le</strong> plus qu’indifférent. J’avance sur <strong>le</strong> chemin où l’on n’attend rien. Je n’écarte rien, je ne me<br />

sens aucune attente précise. J’ai la sensation d’entrer dans un état végétatif, dans un cyc<strong>le</strong> de routine<br />

d’où la volonté propre semb<strong>le</strong> se diluer et s’effacer progressivement, étant donné que je ne peux rien<br />

vouloir d’autre que ‘ce qui est devant’ moi, qu’il n’y a rien à vouloir d’autre que ‘ce qui est’ là, et qu’à<br />

part ce qui est là, il n’y a (vraiment) rien d’autre (çà sonne comme du Raymond Devos)! La routine du<br />

vivre élémentaire: manger (!) suffisamment pour se sustenter, méditer régulièrement sans perdre<br />

courage à cause de l’aridité, de la dou<strong>le</strong>ur ou de la distraction, lire et écrire un peu. J’ai mal de partout:<br />

dormir par terre, méditer par terre, lire et écrire par terre, tout cela est un cauchemar. Si tout se paye, <strong>le</strong><br />

prix de mon expérience, il est d’abord là: ‘vivre par terre’ !<br />

Le <strong>sourire</strong> immobi<strong>le</strong> serait-il un rire figé, comme expression automatique témoignant d’une tel<strong>le</strong><br />

astreinte intérieure et physique, qui, si el<strong>le</strong> s’exprimait naturel<strong>le</strong>ment par un rictus de souffrance<br />

maîtrisée, contredirait en soi <strong>le</strong> but de toute la démarche, sensé être la libération ultime. S’entraîner à<br />

<strong>sourire</strong>, c’est apprendre d’abord à ‘faire comme si’, dans l’espoir que cela devienne un jour ‘comme<br />

çà’. Ce <strong>sourire</strong> fonctionne, en somme, comme <strong>le</strong> hwadu: cesser de <strong>le</strong> pratiquer une seu<strong>le</strong> seconde, c’est<br />

s’exposer à perdre <strong>le</strong> bénéfice et l’acquit des milliards de secondes qui précèdent. Le <strong>sourire</strong> des<br />

Bouddhas est plus béat: bien sûr, la pierre l’a saisi et fixé une fois pour toutes. Qui pourra jamais rester<br />

à <strong>sourire</strong> de la sorte! De la Joconde aussi, on dit que la moue est un <strong>sourire</strong>: mais de la part de<br />

Leonardo, ce fut un jeu, une mystification et un chal<strong>le</strong>nge tout à la fois. Chez mes maîtres Zen, et quoi<br />

qu’ils en disent, j’y vois un volontarisme formidab<strong>le</strong>, capab<strong>le</strong> de provoquer de l’admiration quand on<br />

pense au chemin qu’il <strong>le</strong>ur a fallu parcourir, mais pas la tendresse ni l’amour, - du moins chez moi. Il<br />

est vrai qu’il faut ici repousser, comme illusoire et nocif à <strong>le</strong>ur opinion,’the milk of human kindness, <strong>le</strong><br />

lait de la tendresse humaine’ (Shakespeare). Alberto Moravia parlait, à propos du Bouddha de<br />

Kwangjiu, du <strong>sourire</strong> ‘désespéré’ de cette statue, mais il ajoutait ‘<strong>sourire</strong> désespéré de l’esprit’. Pour la<br />

statue, peut-être, <strong>le</strong>s effets de l’art transfigurant <strong>le</strong> réel plat. Mais de l’ ’esprit’, je n’en ai jusqu’ici<br />

rencontré que dans <strong>le</strong>s textes des vieux Maîtres, Huei-neng et Huang-po par exemp<strong>le</strong>; car même chez<br />

Kusan, je sens de plus en plus <strong>le</strong>s redites d’un discours, d’apostrophes, même, élémentaires et<br />

‘terroristes’, martelées de son ‘bâton de commandement’ avec d’autant plus d’énergie qu’el<strong>le</strong>s sont<br />

toujours plus vagues; quant aux poèmes qu’il cite, pour mon plus grand plaisir d’ail<strong>le</strong>urs, ils sont la<br />

création, eux aussi, des Anciens! Je crois néanmoins qu’un certain ‘esprit’ peut en effet, comme chez<br />

Siddhârta, conduire à une ‘vision’ suffisamment tragique de la condition humaine, - surtout si on<br />

évacue a priori tout salut possib<strong>le</strong> autre que celui qu’el<strong>le</strong> peut se donner d’el<strong>le</strong>-même, - pour que <strong>le</strong><br />

<strong>sourire</strong> de la Bodhi contienne, de cette expérience fondamenta<strong>le</strong>, quelque trace de désespoir assumé!<br />

Je pense que je l’aurais reconnu, moi aussi, si je l’avais rencontré!<br />

Je viens de célébrer la messe de Pâques, <strong>le</strong> gong frappe pour <strong>le</strong> service du soir, la pluie tombe toujours<br />

à verse; j’ai ouvert ma fenêtre qui donne sur <strong>le</strong> Mont Chogye, <strong>le</strong>s nuages l’enlacent sans <strong>le</strong> recouvrir<br />

entièrement; tout mon corps me fait mal, je suis bien…Demain, octave de Pâques, je me mettrai à<br />

l’éco<strong>le</strong> de Kusan et de son ‘cours’ sur <strong>le</strong>s sept Paramitas (vertus, mais étymologiquement: ‘pour<br />

passer sur l’autre rive’), une pour chaque jour, et j’essaierai d’y appliquer, quand je méditerai dessus,<br />

<strong>le</strong>s principes de ‘pensée non conceptuel<strong>le</strong>’ et de ‘non- affectation sensitive’. Maintenant je vais lire la<br />

vie de Chinul.<br />

SONGGWANG SA, 13 AVRIL 1998.<br />

Tout d’abord, j’ai failli succomber à la tentation: j’ai tout simp<strong>le</strong>ment hésité à me <strong>le</strong>ver ce matin; mais<br />

c’était une hésitation tel<strong>le</strong>ment forte et insi<strong>dieu</strong>se que j’ai cru m’y rendre. Je me suis <strong>le</strong>vé en définitive<br />

comme lorsqu’on donne un coup de pied au fond de l’eau; et alors là, tout semb<strong>le</strong> devoir de nouveau<br />

al<strong>le</strong>r tout seul. Jusqu’à la dernière seconde, pourtant, on est persuadé qu’on va y rester! C’est la<br />

première fois que cela m’arrive avec cette force traîtresse de tous <strong>le</strong>s arguments dérisoires, allant de la<br />

fatigue, réel<strong>le</strong>, jusqu’au ‘pour une fois, va!’ Il est vrai que je commence à ressentir une grande<br />

lassitude; d’autant plus forte que je n’éprouve presque plus aucune satisfaction pour quoi que ce soit.<br />

J’exagère un peu: trois choses me touchent encore. Le paysage, indéniab<strong>le</strong>ment, - pluie, so<strong>le</strong>il, nuages,<br />

brume, cette vallée est incommensurab<strong>le</strong>ment bel<strong>le</strong>: mais je n’y suis pas venu en touriste; Jo, qui

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