le sourire immobile pdf - Vincent-Paul Toccoli a-nous-dieu-toccoli
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allé manger, je n’ai pas eu plus faim après, j’ai continué: un point, c’est tout! Mes sens n’étant excités<br />
en rien ni par rien, - sauf la vue, par <strong>le</strong> magnifique paysage, - <strong>le</strong>s sucs salivaires ne se mettent<br />
quasiment jamais en route, et quel<strong>le</strong> que soit l’heure, ne m’’apéritivent’ jamais. Les textes de la<br />
tradition par<strong>le</strong>nt de ce phénomène courant de perte d’appétit, et de sommeil d’ail<strong>le</strong>urs, et je me<br />
demande si ma difficulté à m’endormir de ces dernières nuits n’est pas à attribuer à cette même cause.<br />
Ainsi, je passe presque <strong>le</strong>s vingt-quatre de la journée dans ma cellu<strong>le</strong>, n’en souffre pas <strong>le</strong> moins du<br />
monde, ne vois pas <strong>le</strong> temps passer, médite, lis, écris, dors dans une durée ponctuée par <strong>le</strong>s exercices<br />
que je me suis imposé et auxquels, jusqu’ici, je suis resté fidè<strong>le</strong>: Montaigne en son poê<strong>le</strong>, Descartes en<br />
son cabinet, qui à Eyquem, qui à Paris!<br />
Une autre prise de conscience, très forte el<strong>le</strong> aussi: à ce jour, et depuis que je loge au BIIBC, je n’ai<br />
jamais été envahi par un quelconque sentiment de solitude ni d’abandon; d’iso<strong>le</strong>ment, de réclusion, si,<br />
mais positivement, comme chance, opportunité à moi données, par moi choisies, afin de réaliser mon<br />
propos. Autant une visite me réjouirait, autant ne me sentirais-je pas en manque si rien ni personne ne<br />
devait venir.<br />
La grande appréhension que j’avais en arrivant, et qui a prévalu un certain temps- disons jusqu’à mon<br />
entrevue avec <strong>le</strong> Maître, - c’était cel<strong>le</strong> des ‘souffrances’ que j’allais devoir imposer à mon (pauvre)<br />
corps: lui m’a demandé en somme de me/<strong>le</strong> traiter avec humanité. Ce que je fais depuis. Et Jo m’a<br />
même apporté une chaise! Il ne manque plus qu’une petite tab<strong>le</strong> pour y déposer mon lap top, – j’écris<br />
toujours par terre, l’engin posé sur ma valise -, et ce serait parfait: il n’est d’ail<strong>le</strong>urs pas dit que cela<br />
n’arrivera pas! Au contraire, la disposition de disponibilité s’accroît, se creuse, aurait tendance même à<br />
occuper tout <strong>le</strong> territoire de ma conscience. Je me sens dans l’attitude du jeune Samuel, quand Élie lui<br />
suggère de répondre à la voix que par trois fois il n’avait pas su identifier: “Par<strong>le</strong>, Seigneur; ton<br />
serviteur écoute!” (1 S 3,1-18). Comme <strong>le</strong> Maître n’a pas l’air d’être un bavard, il faudra seu<strong>le</strong>ment<br />
que j’écoute attentivement. Mais encore là, je ne me sens ni fébri<strong>le</strong> ni ému: je l’ai été, je ne <strong>le</strong> suis<br />
plus. J’attends seu<strong>le</strong>ment que <strong>le</strong> moment arrive. Peut-être est-ce arrogant de <strong>le</strong> dire ou même de <strong>le</strong><br />
penser, mais j’estime avoir attendu ma part: six semaines, depuis que j’ai débarqué à l’aéroport de<br />
Kimpo! J’ai tendance à croire que cela fait partie du ‘jeu’: quand Aliocha, - <strong>le</strong> plus touchant des<br />
personnages de Fiodor Dostoïevski, - <strong>le</strong> plus jeune des frères Karamazov, veut al<strong>le</strong>r voir <strong>le</strong> starets, eh<br />
bien, il faut qu’il <strong>le</strong> veuil<strong>le</strong>, lui aussi. On ne lui fera pas de cadeau: il attendra <strong>le</strong> temps qu’il faudra.<br />
J’ai attendu <strong>le</strong> temps qu’on m’a prescrit. Et avec Samuel et Aliocha, j’avoue que je me sens en<br />
excel<strong>le</strong>ntissime compagnie!<br />
Et puis voilà que coup sur coup dans l’après-midi, je reçois un long fax de Nice et un volumineux<br />
paquet de victuail<strong>le</strong>s de Séoul! Moi qui avais des velléités d’abstinence, me voilà bien aidé! Mais la<br />
grâce ne se refuse pas; alors acceptons de bon cœur; ce qui, dans <strong>le</strong> cas, ne m’est vraiment pas<br />
diffici<strong>le</strong>…<br />
Les méthodes de méditation de Chinul n’ont pas été mises au point du jour au <strong>le</strong>ndemain. Dans cette<br />
époque troublée, <strong>le</strong> passage du 12 e au 13 e sièc<strong>le</strong>, où toutes sortes d’éco<strong>le</strong>s se réclamaient être la vraie<br />
transposition du Ch’an chinois sur la terre coréenne, il fallait avoir à la fois un esprit d’une grande<br />
tolérance et d’une non moins grande envergure pour discriminer, évaluer, synthétiser et fina<strong>le</strong>ment<br />
choisir. Chinul, qui connut personnel<strong>le</strong>ment trois paliers dans ses Éveils, s’était tout d’abord basé sur<br />
<strong>le</strong>s textes sanscrits anciens suivants, traduits en chinois: <strong>le</strong> Sutra de l’Estrade, l’exposé du Sutra de<br />
l’Avatamsaka de Li T’ung-hsüan et <strong>le</strong>s Rapports de Ta-hui. Je précise cela, car Chinul lui-même n’a<br />
rien inventé, sinon <strong>le</strong>s synthèses et <strong>le</strong>s mises au point qui vont servir de base et de tradition à toute la<br />
suite du Zen coréen, <strong>le</strong> Sôn, jusqu’à nos jours. En définitive, il était parvenu à cinq types de méthodes,<br />
qui, sans s’équivaloir dans la pratique et <strong>le</strong> propos spécifique, prétendaient chacune offrir un panorama<br />
de possibilités ad libitum pour correspondre à toutes <strong>le</strong>s conformations spirituel<strong>le</strong>s des éventuels<br />
adeptes, lui-même faisant <strong>le</strong> choix personnel de l’une d’entre el<strong>le</strong>s.<br />
1- Il y avait d’abord cel<strong>le</strong> de la pratique de samadhi (concentration: réalité la plus proche du concept<br />
de méditation) et prajna (sagesse: réalité la plus proche du concept de sagesse et d’esprit), servies<br />
par sila (la moralité et la discipline), <strong>le</strong>s trois jouant <strong>le</strong>ur rô<strong>le</strong> respectif: samadhi la vigueur, prajna<br />
l’excitant et sila la préparation.