le sourire immobile pdf - Vincent-Paul Toccoli a-nous-dieu-toccoli
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Voila la grande illumination, la Bodhi. Voila ce qu’est la nature de Bouddha que chacun possède déjà,<br />
mais ne <strong>le</strong> sait pas!<br />
Ainsi, pas de place pour l’analyse, à plus forte raison pour la psychanalyse; pas de place pour la<br />
discrimination du réel, ni pour sa description; pas de place pour la synthèse, qui suppose un jugement<br />
préalab<strong>le</strong> sur <strong>le</strong>s éléments analysés et discriminés ainsi qu’un projet téléologique en vue d’altérer la<br />
réalité et la faire fonctionner différemment. Il n’y a que “ce qui est devant” et qui m’abuse, et je<br />
m’abuse moi-même si je <strong>le</strong> nomme; parce que ‘ce qui est devant’ est moi, <strong>nous</strong> <strong>nous</strong> ‘com-prenons’<br />
l’un l’autre. En travaillant sur moi, je travail<strong>le</strong> sur ‘ce qui, - crois-je, - est devant’. Si je <strong>le</strong> pense<br />
seu<strong>le</strong>ment, je me suis déjà abusé, parce que je l’ai distingué de moi. En fait, il n’y a que moi, qui suis<br />
tout, et tout est moi. Voir ma vraie nature, c’est ‘me/tout voir à la fois’.<br />
Méditation sans contenu ni objet conceptuel ou perceptif (sinon c’est commencer à discriminer), sans<br />
but (sinon ce serait être mû par <strong>le</strong> désir et constituerait un attachement), sans sujet, enfin (puisque mon<br />
‘vrai moi’ est à chercher et trouver, - tout en ne <strong>le</strong> désirant pas, sinon de nouveau attachement, - et que<br />
ce que je prends pour mon moi n’est qu’un produit de mon mental sans aucune existence propre.<br />
L’attention est fixée sur ‘ce qui est devant’, et prend la forme d’un ’hwadu’ à creuser sans cesse. C’est<br />
que tout devient paradoxal, car pour pouvoir creuser mon ‘hwadu’ (<strong>le</strong> ‘Non!’ de Chao Chu, <strong>le</strong> ‘Qu’estce<br />
que c’est?’ de Kusan, <strong>le</strong> ‘Quand la pluie cessera de tomber!‘ de mon Maître Chung Hyung ), il va<br />
bien falloir passer au moins par une pensée conceptuel<strong>le</strong> (même si on considère que la perception<br />
sensitive puisse être mise entre parenthèses, encore qu’en matière de pluie!). Le méditant va devoir<br />
analyser, discriminer, évaluer, synthétiser, considérer, modifier, avancer, régresser, se corriger, etc.…<br />
Avez-vous déjà eu entre <strong>le</strong>s mains <strong>le</strong> petit livre des Exercices de St Ignace? Chacun des Exercices<br />
semb<strong>le</strong> précisément être construit autour d’un travail considérab<strong>le</strong> sur la perception sensitive et la<br />
pensée conceptuel<strong>le</strong>. Mais pas pour <strong>le</strong>s éliminer, au contraire pour <strong>le</strong>s utiliser, à outrance parfois:<br />
‘composicion’ et ‘disposicion’ ne visent qu’à faire imaginer à l’exercitant toutes <strong>le</strong>s modalités et <strong>le</strong>s<br />
circonstances de sa ou d’une situation, ainsi qu’à l’inviter à produire toutes sortes d’expressions de luimême:<br />
considérations, épanchements, prises de position, confessions, délibérations, choix, remises en<br />
question. Et tout cela, dans un chronométrage tel<strong>le</strong>ment rigoureux que si vous ne travail<strong>le</strong>z pas ‘à la<br />
montre’, vous ne pouvez pas remplir tout <strong>le</strong> contrat de chaque exercice: là aussi, cinq à six fois par<br />
jour, dont une fois à minuit, la fameuse ‘Oraison de Minuit’, pour laquel<strong>le</strong> il faut se réveil<strong>le</strong>r sans<br />
réveil-matin, en calculant exactement ses rythmes de sommeil. Il est vrai qu’Ignace avait été militaire<br />
et qu’il vivait à l’époque baroque, dont l’Ordre est l’un des protagonistes <strong>le</strong>s plus prolifiques. Pourtant<br />
je ne dis pas que <strong>le</strong>s Exercices soient plus actifs que <strong>le</strong> Zen, ni que <strong>le</strong>s choix opérés par <strong>le</strong>s uns et par<br />
l’autre n’aient pas <strong>le</strong>ur raison d’être ni <strong>le</strong>ur nécessité fonctionnel<strong>le</strong>, ou que <strong>le</strong>s uns soient plus efficaces<br />
que l’autre. Si <strong>le</strong> <strong>sourire</strong> final était une preuve d’achèvement, je dirais simp<strong>le</strong>ment que <strong>le</strong> <strong>sourire</strong> des<br />
Maîtres Zen m’apparaît peut-être plus immobi<strong>le</strong> et même un peu fade, même si <strong>le</strong>s Directeurs<br />
d’Exercices que je connais l’avaient plutôt réservé, <strong>le</strong> <strong>sourire</strong>, et intelligent!<br />
Quand j’ai regagné ma cellu<strong>le</strong> après <strong>le</strong> réfectoire, une grande enveloppe m’attendait: c’est Daniel<strong>le</strong>,<br />
ma sœur cadette! Un petit mot, et <strong>le</strong>s photos de mon 56 e anniversaire, fêté en famil<strong>le</strong> à Nice, <strong>le</strong> 13<br />
février dernier, après mon séjour à Lumbini, au Népal. Je sais: en tant qu’apprenti Zen, j’aurais dû ni<br />
me précipiter sur mon courrier, ni me réjouir de sa provenance ou de son contenu, mais rester égal à<br />
moi-même et impassib<strong>le</strong>,<br />
Si fractus illabitur orbis<br />
Impavidum ferient ruinae,<br />
dirait Catul<strong>le</strong> (Que <strong>le</strong> monde s’écrou<strong>le</strong> sur lui, il ne broncherait pas !): eh bien, je n’en suis pas encore<br />
(?) là! Je me suis précipité et je me suis réjoui!<br />
SONGGWANG SA, 11 AVRIL 1998. SAMEDI SAINT<br />
Mes considérations d’hier m’ont poursuivi toute la nuit, et ce matin encore, tant à la nocturne qu’à la<br />
matutina<strong>le</strong>. Je veux par<strong>le</strong>r de l’élimination de la perception sensitive et de la pensée conceptuel<strong>le</strong>. Ce<br />
matin, je suis tombé sur ce texte de Huang Po, dont Blofeld, son traducteur (1959 : 45-46), dit qu’il est<br />
l’un des exposés <strong>le</strong>s plus subtils de l’enseignement du Zen, tant il réussit à résumer en quelques mots