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Les ruelles trop étroites interdisant au camion de s’avancer plus loin, on les fit <strong>des</strong>cendre. Peggy Sue<br />
renifla encore. Elle avait un arrière-goût amer sur la langue, comme si elle avait, par mégarde, sucé un<br />
bonbon fourré à la compote de momie.<br />
— C’est le gaz, dit Massalia en la voyant grimacer, le béthanon B. Il est extrêmement volatil et les<br />
installations sont en mauvais état. Le feu est prohibé dans l’enceinte de l’usine, ici on mange froid et on<br />
ne fume pas.<br />
— Il y a eu un accident ? s’enquit Peggy en désignant la silhouette tourmentée <strong>des</strong> cuves qui se<br />
découpaient en ombres chinoises sur l’horizon.<br />
— Des tas d’accidents, soupira le général. <strong>La</strong> Dévoreuse a plusieurs fois attaqué les installations. Le<br />
béthanon B est très sensible à la chaleur. Une simple étincelle le fait exploser.<br />
— Pourquoi s’obstiner à l’extraire ?<br />
— Parce que sa portance est fantastique. Gonflé au béthanon, un ballon de baudruche pas plus gros<br />
que le poing peut soulever un éléphant. Nous nous trouvons dans une exploitation clan<strong>des</strong>tine. Toutes les<br />
usines sont fermées depuis vingt ans. Il est interdit de pomper les gaz qui filtrent à travers les crevasses<br />
de la coquille. Il y a eu beaucoup trop de catastrophes.<br />
— Ce gaz, demanda Peggy Sue, vous voulez dire qu’il provient de la Bête ?<br />
— Oui, c’est l’une de ses émanations.<br />
Les pirates s’impatientaient ; d’une bourrade, ils firent comprendre à Peggy qu’elle devait s’engager<br />
sans plus attendre dans les ruelles du bidonville. <strong>La</strong> jeune fille s’étonna de leur mutisme. Elle ne tarda<br />
pas, du reste, à remarquer qu’un silence surprenant régnait dans les sentes pourtant encombrées de la citélabyrinthe.<br />
— Ils sont muets ? finit-elle par demander à son compagnon.<br />
— Pas vraiment, fit Massalia, mais le gaz irrite les cor<strong>des</strong> vocales, parler devient douloureux.<br />
Peggy fit la grimace. Bientôt les ruelles s’élargirent et on déboucha sur une place encombrée de<br />
treuils, de filins.<br />
L’adolescente retint sa respiration et leva les yeux vers le ciel. Quelque chose se tenait là, quelque<br />
chose qui coupait le souffle. C’était un énorme ballon dirigeable. Un aérostat fuselé, dont la silhouette<br />
rappelait celle d’une baleine. L’enveloppe à demi gonflée devait mesurer cinquante mètres de long, elle<br />
était prise dans un filet aux mailles serrées. Les flancs de la nef palpitaient, comme sous l’effet d’une<br />
puissante respiration.<br />
Peggy prit conscience qu’elle était plantée au bord d’un quai d’embarquement. Des dockers [22]<br />
allaient et venaient, transportant sur leur dos <strong>des</strong> caisses rectangulaires. Une colonne s’était constituée,<br />
acheminant le fret vers l’aérostat. Les caisses étaient ensuite entassées les unes sur les autres, comme les<br />
briques d’un mur, et assujetties par <strong>des</strong> cor<strong>des</strong>. Un filet enveloppait le tout, constituant une sorte de<br />
nacelle suspendue au ballon géant.<br />
— De quoi s’agit-il ? s’impatienta Sébastian. Tout cela est, certes, fort pittoresque, mais je voudrais<br />
comprendre.<br />
— C’est simple, soupira Massalia. Beaucoup de gens en ont assez de vivre sur terre, à la merci de la<br />
Dévoreuse. Ils ont imaginé de s’exiler dans le ciel, loin de ses tentacules. Voilà pourquoi ils utilisent ces<br />
ballons. Ils embarquent à dix ou douze familles, avec assez de vivres pour tenir le plus longtemps