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Le dortoir réfrigéré abritait une centaine d’enfants issus <strong>des</strong> plus riches familles de la ville. Ils étaient<br />
tous maussa<strong>des</strong> et multipliaient les mauvaises blagues pour tuer le temps. Peggy Sue tint à examiner les<br />
murs. <strong>La</strong> petite Chloé (qui en réalité se nommait Chloé Adélaïde Sophie de la Roche verte du <strong>La</strong>c-Bleu…<br />
et était fille de duc) lui désigna les endroits où, en grattant le givre, on pouvait mettre au jour les balafres<br />
de ciment par où s’introduisaient, jadis, les tentacules de la Bête.<br />
Se saisissant d’un racloir, Peggy frotta la paroi. Elle ne tarda pas à tomber sur <strong>des</strong> colmatages<br />
témoignant qu’on avait obturé de gros trous dans la maçonnerie.<br />
— C’était avant qu’on installe le système de congélation, commenta obligeamment la petite fille. Ici,<br />
c’était un dortoir pour enfants pauvres. On se contentait de les enfermer dans <strong>des</strong> cages… Ça ne marchait<br />
pas, parce que la Dévoreuse est assez forte pour tordre les barreaux. Le froid est une meilleure<br />
protection. <strong>La</strong> Bête n’aime pas se geler les pattes.<br />
Peggy examina la balafre de ciment.<br />
— Les murs sont épais, fit Chloé, mais la Dévoreuse enlevait les briques une à une, pour s’ouvrir un<br />
passage. Ça finissait par creuser une espèce de couloir dans l’épaisseur de la cloison… et personne ne<br />
s’en rendait compte jusqu’au moment où sa patte jaillissait pour attraper un gosse de pauvre.<br />
— Elle ne mange que <strong>des</strong> enfants ?<br />
— Oui, elle n’aime pas le goût <strong>des</strong> adultes. Moi, à sa place je ferais pareil, sauf que je ne prendrais<br />
pas <strong>des</strong> enfants pauvres qui sont plutôt sales et sentent mauvais. Je mangerais <strong>des</strong> fils de duc ou de comte.<br />
Des princes, si j’en trouve.<br />
Peggy Sue tapa dans ses mains pour se réchauffer. Quelqu’un lui lança méchamment une boule de<br />
neige remplie de cristaux de glace.<br />
— Tu vas inventer de nouveaux jeux ? s’enquit Chloé. Tu as intérêt, parce que sinon Éric et ses<br />
copains t’en feront voir de toutes les couleurs.<br />
Un peu plus tard, l’adolescente rejoignit Sébastian à la cantine. Le cuisinier, un gros homme jovial<br />
nommé Zavrapa, leur fit mille recommandations.<br />
— Ce sont de sales gosses, grommela-t-il dans sa barbe. Et méchants avec ça ! On pourrait même dire<br />
dangereux. Je vous conseille d’ouvrir l’œil.<br />
— Ça fonctionne, cette histoire de froid ? interrogea Sebastian, pratique.<br />
— Oui, dit Zavrapa. <strong>La</strong> bête déteste se geler le bout <strong>des</strong> pattes. Avant, c’était une autre chanson. J’en<br />
ai vu de pauvres mioches disparaître dans les murs, un tentacule noué autour du ventre.<br />
— Mais les cages ? s’étonna Peggy.<br />
Le cuisinier haussa les épaules.<br />
— Du pipeau, ma jolie ! <strong>La</strong> Bête les tordait et les éclatait comme si c’était du fer-blanc. Les<br />
chambres fortes, elle les ouvrait comme j’ouvre une boîte de haricots à la tomate. Le problème, c’est<br />
qu’on est en permanence à la merci d’une panne de compresseur. Si le système frigorifique cessait de<br />
fabriquer du froid, la température grimperait vite… et la Dévoreuse le sentirait. Elle ne mettrait pas<br />
longtemps à revenir faire son marché chez nous. (Il eut un mauvais sourire, baissa la voix, et ajouta :) Des<br />
fois, ces sales gosses m’énervent tellement que je dois me retenir d’aller saboter la machine, pour avoir<br />
la satisfaction de les <strong>of</strong>frir en pâture à la bête… mais, chut ! ça doit rester entre nous.<br />
<strong>La</strong> nuit venue, Peggy Sue, Sebastian et le chien bleu se calfeutrèrent dans leur igloo tandis que<br />
Zavrapa se barricadait dans sa cuisine pour échapper aux mauvaises blagues d’Éric et de ses copains.