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de la jeune fille à l’aide d’une pommade grise.<br />
— Tu es mignonne, dit-il, je t’aime bien. Tu dois tenir le coup, sinon le chef te fera chasser.<br />
— Il faut pourtant que nous sortions d’ici, grogna Peggy. Nous sommes <strong>des</strong> messagers, nous devons<br />
porter un pli au palais royal.<br />
Goussah la dévisagea avec incrédulité. L’espace d’une seconde, il parut se retenir d’éclater de rire.<br />
— Un pli ? dit-il. Je me demande bien qui le lirait ! Tu ne sais donc pas que tous les seigneurs<br />
kromosas s’adonnent au délire de la drogue ?<br />
— Quelle drogue ?<br />
— <strong>La</strong> drogue fabriquée par la Dévoreuse. On la surnomme « la délicieuse gourmandise ». C’est ce<br />
que racontent les gar<strong>des</strong> en faction devant la grande porte. Dans le quartier riche, les gens vivent dans un<br />
état de délire permanent. Rien ne les intéresse hormis la satisfaction de leur vice. Je n’en sais pas plus ;<br />
ce sont <strong>des</strong> somnambules, <strong>des</strong> zombies. Ton message, personne ne le lira, tu peux le jeter au feu.<br />
Sur ces mots, le jeune coureur s’allongea pour dormir, laissant Peggy Sue perplexe.<br />
*<br />
Le lendemain, la course reprit. <strong>La</strong> caravane s’ébranla dans la lumière grise de l’aube. Sorti de son<br />
coma, Sébastian était de nouveau en parfaite forme physique et capable de tirer <strong>des</strong> charges énormes.<br />
Bomo, le chef de convoi, le surveillait d’un œil intéressé.<br />
À midi, l’essieu d’un chariot chargé d’enfants cassa, répandant son chargement sur les pavés. Les<br />
gosses se mirent à hurler, terrifiés à l’idée que le brouillard allait bientôt les envelopper.<br />
— On a saboté la roue, annonça Goussah, c’est encore un coup <strong>des</strong> amis de la pieuvre. Ils ont dû se<br />
glisser dans le camp au cours de la nuit ! Ce sont <strong>des</strong> démons, on ne les voit jamais.<br />
Et il désigna l’essieu qui portait la trace d’un coup de lime.<br />
On ramassa les gamins en pleurs. Une cantinière vint les examiner.<br />
— <strong>La</strong> Dévoreuse espère que nous les abandonnerons, grinça Goussah, à cause de la surcharge. Les<br />
chariots sont vieux, si on y entasse trop de gens, ils se brisent. <strong>La</strong> bête <strong>des</strong> <strong>souterra</strong>ins le sait. Moins il y<br />
aura de charrettes, plus les gens devront se déplacer à pied ; de cette manière ils deviendront <strong>des</strong> proies<br />
faciles. Dès que le brouillard vous enveloppe il faut se préparer à voir les tentacules jaillir <strong>des</strong><br />
crevasses. Elle est rapide, la garce ! Et silencieuse avec ça. On est entraîné au centre de la terre avant<br />
même d’avoir compris ce qui vous arrive.<br />
Sébastian alla soulever le chariot pendant que les coureurs s’évertuaient à remplacer l’essieu brisé.<br />
Bomo pestait dans son pousse-pousse, tandis que le chronométreur estimait le retard accumulé et<br />
déterminait la position de la colonne par rapport à l’avance du brouillard empoisonné.<br />
— <strong>La</strong> fumée est à sept kilomètres derrière nous ! glapissait-il. Elle approche, elle approche.<br />
L’essieu fut changé, les roues remises en place. Les gosses reprirent leur place sur la plate-forme du<br />
véhicule.<br />
— Chez nous, ceux qui ne sont pas capables de courir n’ont guère de chance de survivre, dit Goussah<br />
en évitant le regard de Peggy Sue.<br />
— <strong>La</strong> fumée ! hurla le chronométreur. À quatre kilomètres derrière vous. Elle se rapproche. Galopez<br />
si vous ne voulez pas qu’elle vous lèche les talons !<br />
Le convoi reprit sa course. Cette fois, les hommes avançaient les cou<strong>des</strong> au corps, la bouche grande<br />
ouverte, essayant de grignoter le retard accumulé. Les roues de bois <strong>des</strong> carrioles faisaient un vacarme