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L’avion du sommeil<br />
C’était un vieil avion propulsé par douze moteurs à hélices. Une antiquité de métal inoxydable au<br />
fuselage couvert de bosses et d’éraflures.<br />
— Mais il est gigantesque ! s’exclama Sébastian en l’apercevant sur la piste d’envol. Bon sang, on<br />
doit pouvoir y embarquer mille personnes au moins !<br />
— Un vrai paquebot volant, approuva le chien bleu. On pourrait bâtir un village sur ses ailes…<br />
Sur les flancs et la queue on distinguait encore les traces d’anciennes peintures militaires. Des<br />
symboles et <strong>des</strong> numéros.<br />
« Tous ces moteurs font sûrement vibrer la tôle comme autant de marteaux-piqueurs, songea Peggy<br />
Sue. Quand les secousses se communiquent à la carcasse, on doit avoir l’impression d’être assis à<br />
l’intérieur d’un ventilateur ! »<br />
À certains endroits, les plaques du fuselage semblaient disjointes. Quant aux hublots, ils étaient fêlés.<br />
— C’est un avion-cargo rescapé d’une guerre quelconque, bougonna Sébastian, une antiquité qu’on<br />
rafistole depuis une bonne centaine d’années. J’espérais mieux.<br />
Quand ils grimpèrent à bord, ils constatèrent que l’appareil, conçu pour le transport du matériel, était<br />
dépourvu de sièges. On entendait les rafales de vent s’acharner sur le fuselage.<br />
L’appareil n’étant pas pressurisé, on ne volerait pas à très haute altitude, mais Peggy Sue ne se sentait<br />
pas rassurée pour autant : on est toujours trop haut dès qu’il s’agit de s’écraser.<br />
Elle tendit le cou pour observer la perspective de la soute : un tunnel obscur éclairé par les<br />
minuscules lampes suspendues aux parois. Les arceaux métalliques du fuselage donnaient l’illusion d’être<br />
entré par mégarde dans la cage thoracique d’un dinosaure. On aurait en vain cherché <strong>des</strong> rangées de<br />
fauteuils, sitôt quitté la cabine de pilotage on pénétrait dans un cylindre d’acier qui courait jusqu’à la<br />
queue de l’appareil. On y avait jadis entassé <strong>des</strong> tonnes de bombes.<br />
— C’est gigantesque, répéta Sébastian.<br />
Puis les moteurs se mirent à vrombir, brassant les ténèbres.<br />
— Bienvenue à bord du « charter du sommeil », crachota la voix de l’hôtesse derrière le grillage du<br />
haut-parleur. <strong>La</strong> Compagnie Repos et Sécurité vous souhaite un bon voyage. Dans cinq minutes nous<br />
procéderons à une distribution de somnifères.<br />
À cet instant, Peggy se rendit compte que le ventre de l’appareil <strong>of</strong>frait un curieux spectacle de<br />
hamacs suspendus en travers du passage. Trompée par la pénombre, l’adolescente avait d’abord cru qu’il<br />
s’agissait de ballots accrochés aux parois ! Elle comprit enfin qu’elle se trouvait en présence de<br />
voyageurs installés pour la nuit. Certains dormaient à même le sol, emmitouflés dans <strong>des</strong> sacs de<br />
couchage, d’autres se balançaient, recroquevillés dans <strong>des</strong> hamacs. De cet entassement de corps<br />
montaient <strong>des</strong> relents de sommeil et de transpiration. Il y avait là <strong>des</strong> hommes, <strong>des</strong> femmes, <strong>des</strong> enfants,<br />
tous enfouis dans le cocon <strong>des</strong> duvets, amalgamés flanc contre flanc afin de préserver leur chaleur.<br />
L’hôtesse s’approcha de Peggy Sue et de Sebastian pour leur remettre à chacun un sac de couchage.<br />
— Je suis désolée, murmura-t-elle, mais vous vous êtes présentés trop tard à l’embarquement, il n’y a