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Peggy Sue enjamba une haie de ronces, le souffle bloqué, comme si elle allait plonger dans une eau<br />
glacée.<br />
À l’instant même les bûchers calcinés qui dressaient ici et là leurs fagots goudronneux se rallumèrent<br />
tous en chœur !<br />
Ce fut comme l’explosion d’un gaz s’enflammant au contact d’une étincelle, et un vent brûlant balaya<br />
la cour. Peggy Sue dénombra douze bûchers qui ronflaient en jetant vers le ciel <strong>des</strong> bouquets de flammes.<br />
— C’est dans cette cour qu’on a jadis brûlé les sorcières complices de la Dévoreuse, balbutia-t-elle.<br />
Les notes de Servallon l’expliquent. Mais c’était il y a bien longtemps…<br />
— Rappelle-toi ce qu’a dit ce vieux fou, aboya le chien bleu. Ici, rien n’est vraiment mort… « bien<br />
longtemps » ne signifie pas grand-chose quand on a affaire à <strong>des</strong> fantômes !<br />
Une fumée noire se mit à baver sur les nuages, noircissant le ciel. En peu de temps, la nuit s’installa<br />
au-<strong>des</strong>sus de l’ancienne prison.<br />
Peggy marqua un temps d’arrêt. Les montagnes de fagots calcinés brûlaient en dépit de toute logique<br />
tandis qu’une horrible odeur de chair grillée se répandait dans l’air. C’était absurde puisque aucune<br />
victime ne se trouvait attachée au sommet <strong>des</strong> bûchers !<br />
<strong>La</strong> jeune fille hésitait à courir, redoutant un nouveau piège. Le vent rabattait la fumée qui stagnait<br />
maintenant au ras du sol en tapis ténébreux. Ce voile noir lui monta rapidement jusqu’aux chevilles,<br />
jusqu’aux genoux. Il était chargé de cendre. « <strong>La</strong> cendre <strong>des</strong> sorcières mortes ! » songea Peggy avec un<br />
frisson.<br />
— Attention, fit Sebastian, si quelque chose se déplace sous ce rideau de brouillard, tu ne le verras<br />
pas venir.<br />
— Je sais, dit Peggy en avançant le pied droit avec prudence.<br />
L’écran fumigène formait une espèce de tapis opaque flottant à soixante centimètres du sol. On<br />
n’apercevait plus ni l’herbe ni les pavés.<br />
<strong>La</strong> jeune fille se prit à imaginer que les fantômes <strong>des</strong> redoutables magiciennes s’approchaient d’elle<br />
en rampant, cachés sous ce voile protecteur. Allaient-ils la capturer pour la jeter dans le feu ?<br />
Les bûchers ne cessaient de crépiter, vomissant un véritable panache de suie qui retombait sur les<br />
ruines. Peggy attrapa le chien bleu pour le poser en travers de ses épaules, car elle craignait qu’il ne<br />
s’asphyxie à force de trotter à ras de terre.<br />
— Ça monte, constata Sebastian, bon sang ! Dans dix minutes, nous serons aveuglés.<br />
— Essaye de repérer la direction à suivre, lança Peggy Sue, la porte de sortie doit se trouver par là.<br />
Il ne faut surtout pas commettre l’erreur de tourner en rond.<br />
Les adolescents s’élancèrent à gran<strong>des</strong> enjambées, tentant de prendre de vitesse la marée <strong>des</strong><br />
ténèbres, mais la suie les enveloppait, leur collant à la peau. Sebastian se tordait le cou en tous sens. On<br />
n’y voyait plus à deux mètres !<br />
Peggy toussa. Elle avait du mal à garder les yeux ouverts et pleurait d’abondance.<br />
— Ferme les paupières, conseilla le chien bleu, suis mes indications. <strong>La</strong> porte de sortie sent la<br />
rouille. Je vais essayer de la repérer à travers ces odeurs de suie. Pour le moment, va tout droit.<br />
Juché comme il l’était sur les épaules de la jeune fille, le petit animal échappait en partie aux<br />
émanations irritantes du brouillard.