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<strong>La</strong> nuit <strong>des</strong> sorcières<br />
Peggy Sue comprit que l’aube s’était levée lorsqu’un rai de lumière grise s’insinua sous la porte. Elle<br />
alla déverrouiller le battant et jeta un bref coup d’œil à l’extérieur. Le chien bleu l’imita, glissant son<br />
museau frémissant dans l’entrebâillement.<br />
<strong>La</strong> cour de la prison avait retrouvé son aspect grisâtre de terrain vague, et les potences n’étaient plus<br />
que <strong>des</strong> assemblages de vieilles poutres mangées par la mousse. Peggy se demanda si elle n’avait pas<br />
rêvé les événements de la nuit. Si Sébastian, le chien bleu et elle-même n’avaient pas été victimes <strong>des</strong><br />
émanations hallucinogènes montant <strong>des</strong> crevasses du sol, ces crevasses par où la bête <strong>des</strong> <strong>souterra</strong>ins<br />
vaporisait d’étranges poisons. <strong>La</strong> chose n’avait rien d’impossible.<br />
Peut-être avaient-ils inhalé un peu de ces poudres terrifiantes ? Le poison s’était aussitôt emparé de<br />
leur cerveau pour y faire éclore <strong>des</strong> images insensées.<br />
« Servallon m’avait prévenue, songea-t-elle. J’aurais dû m’en souvenir, mais tout cela semblait si<br />
réel. »<br />
Elle fit trois pas au pied de la remise. Le ciel était gris, <strong>des</strong> corbeaux aiguisaient leur bec sur le granit<br />
<strong>des</strong> murs avec la minutie d’un maître d’armes affûtant une épée. Peggy éprouva une crispation<br />
désagréable à l’estomac. Les oiseaux se préparaient-ils à l’attaquer ?<br />
— Allons ! dit-elle en se secouant. Le jour est là ! <strong>La</strong> fantasmagorie est terminée. Il ne se passera plus<br />
rien !<br />
— Je l’espère aussi, soupira le chien bleu. Nom d’une saucisse atomique, voilà une aventure qui a<br />
failli mal tourner.<br />
Peggy alla réveiller Sébastian.<br />
— Il faut y aller, murmura-t-elle, le soleil se lève.<br />
— Quelque chose nous attend dehors ? demanda le jeune homme en se dressant sur un coude.<br />
— Non. C’est à croire qu’il ne s’est rien passé.<br />
Sébastian grogna. Peggy Sue ouvrit le sac, en tira <strong>des</strong> galettes de froment fourrées à la viande séchée<br />
qu’ils partagèrent sans un mot. Ils mangèrent rapidement, se désaltérèrent, puis rassemblèrent le<br />
paquetage.<br />
Dès qu’ils se furent mis en route, Sébastian s’étonna de la vétusté [14] <strong>des</strong> potences alignées.<br />
« Du vieux bois, pensa-t-il. Je pourrais, d’un coup de poing, déraciner ces instruments de torture d’un<br />
autre âge. Avons-nous été victimes d’un envoûtement ? »<br />
— À partir de maintenant on ne s’arrête plus, fit Peggy, tu es d’accord ?<br />
— Oui, dit Sébastian. Aucune halte, il faut sortir de ce piège.<br />
— Vous êtes bien sûrs de vous, ce matin, grommela le chien bleu. Moi, j’ai l’impression désagréable<br />
qu’un metteur en scène satanique attend notre arrivée pour frapper les trois coups du spectacle ! Ce<br />
calme, c’est celui qui précède la tempête. Nous ferions mieux d’être sur nos gar<strong>des</strong>.<br />
Sébastian hocha la tête. Depuis dix secon<strong>des</strong>, il partageait cette sensation. « Les lions ne rugiront<br />
qu’une fois les esclaves jetés dans l’arène », pensa-t-il.