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Le vent de la folie<br />
Une pénible tension régna tout le reste de l’après-midi, plongeant les naufragés dans un mutisme qui<br />
n’avait rien de volontaire. C’était comme si, d’un seul coup, les mots étaient devenus trop dangereux à<br />
prononcer. Peggy Sue avait l’impression d’avoir la tête pleine de vapeurs d’essence sur le point<br />
d’exploser.<br />
L’aérostat dérivait au milieu du paysage tourmenté <strong>des</strong> nuées de gaz qui formaient d’étranges îles<br />
volantes sous la voûte immense de la coquille.<br />
Elle se frottait de plus en plus souvent les yeux. Comme ses paupières étaient irritées, elle mit son<br />
masque et équipa pareillement le chien bleu.<br />
Lorsqu’elle suggéra à Sébastian d’en faire autant, il haussa les épaules avec dédain.<br />
— Tu penses que c’est juste bon pour les filles et les petits chiens ? lui lança Peggy, agacée. Tu te<br />
crois plus fort que nous ?<br />
Sébastian souriait comme un gamin qui voit pour la première fois tomber la neige. Il pointa le doigt<br />
vers la masse d’un nuage phosphorescent [26] et s’écria d’un ton enjoué :<br />
— Vous avez vu ? Vous avez vu ? C’est beau !<br />
Il s’exprimait d’une voix haletante et parlait très vite, en mangeant les mots.<br />
— Mets ton masque, insista Peggy. Tu es en train de respirer <strong>des</strong> gaz hilarants… c’est dangereux.<br />
C’est encore une ruse de la Dévoreuse… En nous faisant rire, elle espère nous pousser à commettre <strong>des</strong><br />
imprudences.<br />
Quand elle voulut s’approcher de Sébastian pour l’équiper, celui-ci la repoussa.<br />
Il riait, piquant <strong>des</strong> fous rires de collégien. Il battait <strong>des</strong> mains devant la forme « époustouflante »<br />
d’un nuage luminescent.<br />
— C’était un éléphant ! Un éléphant ! Vous avez vu ses gran<strong>des</strong> oreilles ?<br />
Il courut sur le pont, se penchant au-<strong>des</strong>sus du vide au risque de basculer. Puis il grimpa dans les<br />
haubans, y effectuant <strong>des</strong> pirouettes gracieuses dignes d’un concours de gymnastique. Suspendu par les<br />
pieds, la tête en bas, il comptait les « moutons » de brouillard qui les entouraient. Peggy le regardait avec<br />
angoisse, s’attendant qu’il perde l’équilibre et disparaisse dans l’abîme.<br />
— Et il avait le culot de nous donner <strong>des</strong> leçons ! grommela le chien bleu, en attendant, il s’est bien<br />
laissé surprendre !<br />
— Ça donne envie de voler, tout ce ciel, hein ? cria le jeune homme. Il y a tellement de place. Peutêtre<br />
qu’en remuant <strong>des</strong> bras on arriverait à imiter les oiseaux ?<br />
— Ce n’est pas le « ciel », corrigea Peggy, nous sommes sous la terre, à l’intérieur d’un œuf de<br />
pierre gigantesque… Tu te rappelles ?<br />
Sébastian lui tira la langue et se mit à bouder, grommelant qu’elle n’était qu’une « casse-pieds,<br />
comme toutes les filles ».<br />
Peggy ne savait que faire. À l’idée de le poursuivre dans les haubans, la tête lui tournait.<br />
Sébastian continuait à monologuer, évoquant tour à tour le ciel, la liberté, la chance qui leur était<br />
donnée de devenir <strong>des</strong> oiseaux.<br />
— C’est comme si nous prenions un bain de nuages, criait-il, ça mousse, ça mousse. Je veux me