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— Tu n’as pas encore compris ? souffla Peggy. <strong>La</strong> Bête leur fait respirer du gaz hilarant ! De cette<br />
façon ils sont heureux et ne pensent pas à s’évader. <strong>La</strong> moindre blague, la plus banale <strong>des</strong> occupations<br />
leur semblent follement drôles, mais ce n’est qu’une illusion.<br />
— Si tu as raison, pourquoi ne sommes-nous pas en train de rire ?<br />
— Parce que nous avons bu de la sève qui fait <strong>of</strong>fice de contrepoison. Tant que nous en avalerons, le<br />
gaz euphorisant n’aura pas prise sur nous ; malheureusement, sitôt que la gourde sera vide, nous<br />
deviendrons comme ces pauvres gosses. Tout nous semblera trop cool ! Et nous passerons nos journées à<br />
faire <strong>des</strong> galipettes dans l’obscurité en riant aux éclats.<br />
— Alors, nous sommes dans un camp de prisonniers ?<br />
— Oui, un camp de prisonniers où le rire sert à la fois de serrure et de geôlier.<br />
Inquiets, les deux amis saisirent la gourde de sève et se dépêchèrent d’avaler une gorgée d’antidote.<br />
— Combien de temps tiendrons-nous ? s’enquit le chien bleu.<br />
Peggy secoua l’outre de cuir.<br />
— Cinq ou six jours, en nous rationnant, hasarda-t-elle. Il faudra trouver le moyen de remonter à la<br />
surface avant de succomber nous aussi au poison de la rigolade.<br />
Les enfants sauteurs avaient fini par s’approcher. Ils ne marchaient pas, non, ils se déplaçaient par<br />
bonds successifs utilisant la souplesse du sol. On eût dit une horde de kangourous.<br />
— Salut ! cria l’un d’eux en se tordant de rire, bienvenue dans l’œuf. Vous venez de tomber, c’est<br />
ça ? Préparez-vous à une sacrée partie de rigolade. On se marre bien ici !<br />
À ces mots, ceux qui l’accompagnaient se tordirent comme si leur copain venait de lâcher une blague<br />
irrésistible. Certains hoquetaient, d’autres se tenaient les côtes ou pleuraient de rire.<br />
— Nous on est là depuis <strong>des</strong> années, reprit le gosse, et on ne s’en lasse pas. Pour rien au monde on ne<br />
reviendrait à la surface. Le jour où la Dévoreuse nous a enlevés est le plus beau jour de notre vie. Ouais !<br />
— Ouais ! firent ses copains en se tordant de plus belle.<br />
« Ils sont là depuis <strong>des</strong> années et ils n’ont pas grandi, songea Peggy. Ça signifie que le gaz a arrêté<br />
leur croissance. <strong>La</strong> Dévoreuse les empêche de « pousser ». Elle ne veut pas être entourée d’adultes. »<br />
— Je sais pourquoi ! fit la voix du chien bleu dans la tête de la jeune fille. Je viens de tout<br />
comprendre ! <strong>La</strong> Dévoreuse a beau être gigantesque, elle n’en est pas moins très jeune puisqu’elle n’est<br />
pas encore née ! Elle a beau avoir mille ans, ça ne représente pas grand-chose pour les animaux de son<br />
espèce. <strong>La</strong> bête <strong>des</strong> <strong>souterra</strong>ins est une enfant, elle aussi ! Voilà pourquoi elle ne veut pas côtoyer<br />
d’adultes ! Elle cherche à s’entourer de compagnons de son âge. Elle ne s’entend bien qu’avec eux.<br />
— Mais oui ! tu as raison ! s’enthousiasma Peggy. Personne n’y a jamais pensé. <strong>La</strong> Dévoreuse est une<br />
espèce de petite fille capricieuse qui s’ennuie dans le noir et pique <strong>des</strong> colères. Elle est égoïste et ne voit<br />
pas plus loin que le bout de son nez. Elle ne réfléchit pas aux conséquences de ses actes… et tant pis si<br />
ses caprices déclenchent <strong>des</strong> catastrophes.<br />
— On fait <strong>des</strong> concours de cabrioles aériennes, expliqua le gamin hilare. On invente <strong>des</strong> figures<br />
insensées. Certains d’entre nous parviennent à rebondir à trois kilomètres de hauteur, c’est trop cool !<br />
— Combien êtes-vous ? s’enquit Peggy Sue.<br />
— On sait pas, avoua l’enfant. Beaucoup, beaucoup.<br />
— Ça ne vous gêne pas de vivre dans l’obscurité ?<br />
— Mais non, t’es bête ! Au bout de quelque temps les yeux se modifient et on se met à y voir<br />
parfaitement dans le noir, comme les chats. C’est cool.